• Oswald de Andrade


    La Morte


    Pièce en trois actes de Oswald de Andrade   1937


    (traduite du portugais   Brésil   par Gilles de Staal. Droits réservés : Espòlio Oswald de Andrade et Gilles de Staal pour la traduction. A paraître en 2007, en France, dans « Oswald de Andrade : Manifestes anthropophages et Théâtre, aux éditions Le-Mort-qui-trompe.)



    (Extraits)


    Lettre   préface de l'auteur


    Julieta Barbara[1],



    J'accorde la plus grande importance à La Morte au sein mon œuvre littéraire. C'est le drame du poète, du coordonnateur de toute action humaine, que l'hostilité d'un siècle réactionnaire a peu à peu éloigné du langage utile et courant. Du romantisme au symbolisme, au surréalisme, la justification de la poésie s'est perdue en sons et protestations inintelligibles, pour finir dans le balbutiement et la télépathie. Bien loin des appels populaires. Maintenant, à travers l'analyse, les ensevelis reviennent à la lumière et, à travers l'action, parviennent aux barricades. Ce sont ceux qui ont le courage incendiaire de détruire cette âme égarée qui leur était née sous les ciels souterrains où ils s'étaient réfugiés. Soit les catacombes lyriques s'épuisent, soit elles débouchent dans les catacombes politiques. A toi, qui es ma compagne dans ce difficile atterrissage, je dédie La Morte.



    Oswald de Andrade


    São Paulo, le 25 avril 1937








    [1] Julieta Barbara Guerrini, avec qui Oswald de Andrade vivra en « régime civil de séparation de biens » de décembre 1934 à 1942. Auparavant, de 1929 à 1933, il vécut avec Patricia Galvao, dite « Pagu », écrivain et agitatrice communiste recherchée par la police, de qui il eut un fils, Ruda Pronominare, en 1930. (N.d.T.)


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  • ... III  Seule l'anthropophagie nous unit !

    Le corps social est déchiré, mais ce ne sont pas les banlieues qui se trouvent dans une crise identitaire. Les jeunes révoltés sont très clairs ; ils veulent être considérés comme n'importe quel citoyen, qu'ils sont formellement, et donc pouvoir reconnaître dans la France leur pays. Mais ce ne peut pas être le pays qui dénie leur humanité en les réduisant à des « indigènes » ou descendants d'indigènes à intégrer.
     La crise n'est pas « la crise des banlieues », c'est la crise de l'identité française et républicaine classique, héritée de la mentalité du capitalisme colonial.
     Intégrés ils le sont et le prouvent, en répétant : mais nous sommes Français ! Le problème n'est pas l'intégration des « jeunes-issus-de-l'immigration ». Le problème c'est la désintégration de cette identité française coloniale aujourd'hui morte. Comme les anthropophages, il faut dévorer rituellement le corps de l'ennemi moribond dans le banquet commun,  pour en digérer et rejeter comme engrais la chair putrescible, et que les vertus qu'il recèle (car il y en a, bien sûr !) puissent se libérer dans le métabolisme collectif d'une nouvelle communauté sociale à naître.   
    Et si on écoute un peu, que crient les enfants des banlieues ?
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>« A TABLE !!! A TAAAABLE ! »
    <o:p> </o:p>Et ils sont parfaitement disposés à manger la République, mais c'est la République qui ne veut pas venir à table !
    Tout juste si elle accepte des amuse-gueule : Chirac admettant les excès de la répression de 1947 à Madagascar (110 000 morts), ou l'ambassadeur de France reconnaissant les crimes de Sétif en 1945 (45 000 morts)...
    Mais ce n'est plus de cela qu'il s'agit. Il s'agit de manger toute entière cette république pour inventer les valeurs communes d'une France qui n'est plus ce peuple imaginaire qui se regarde dans le miroir du passé colonial, blanc, et civilisateur des autres... Et c'est cette France qui résiste et ne veut pas se laisser manger.
    <o:p> </o:p>Des observateurs « bien-intentionnés » n'ont pas manqué de pointer l'irrationalité apparente des incendies, le vandalisme... et surtout le langage incompréhensible de ces jeunes « qui ne connaissent que la violence »... oubliant que si leur langue parait incompréhensible, c'est pourtant celle qu'ils ont appris de cette république, dans ses écoles... mais qui ne correspond plus à aucune réalité de leur vie. Ce n'est pas leur langue qui est incompréhensible, c'est leur école qui l'est devenue, et la vie qu'elle leur prépare. Ce n'est pas pour autre chose que parfois, au passage, ils incendièrent quelques écoles.
    <o:p> </o:p>Manger cette vieille France, bien sûr, c'est avec les mots. L'anthropophagie culturelle, tout comme l'anthropophagie rituelle que nous décrivent les anthropologues, ce n'est pas le cannibalisme utilitaire. Le cannibalisme c'est  justement ce que l'Europe coloniale a si souvent et si longtemps pratiqué... et qui se poursuit avec l'idée de « l'intégration ». Intégration au marché, à l'ordre, à la morale, à la fonction, à l'exploitation.
    Les « Noirs » des banlieues des cauchemars d'Alain Finkielkraut ne vont pas faire griller des escalopes de Français sur les brasiers des voitures incendiées ! Cela, c'est dans l'imagination délirante de Finkielkraut et de ses amis...  Parce que eux, justement, ne connaissent que le cannibalisme utilitaire, et les élites culturelles qui confortent la domination ! Je ne te mange que pour m'alimenter.
    <o:p> </o:p>Ce que nous avons vu, c'est à peine la fête qui précède le festin anthropophage. Les paroles n'étaient pas encore arrivées. Il n'y avait que les premiers balbutiements. C'est normal. La révolution est une enfant a-nal-pha-bête. Mais on apprend à parler avec elle.
    Pourtant, cette révolte a ouvert une crise politique, culturelle, institutionnelle, identitaire profonde, qui était latente, et que toutes les paroles compassées des doctes observateurs n'avaient jamais réussi à révéler. Cela vaut déjà plus que beaucoup de discours. Les enfants des banlieues, à leur façon à eux, sont entrés dans cette crise et l'ont mise en lumière. Ils sont entrés en politique.
    Ne vous impatientez pas, les paroles vont venir et elles arrivent déjà. Abondantes. Deux semaines à peine après les incendies, il suffit de regarder sur l'internet (4). Les sites prolifèrent d'une banlieue à l'autre, les textes, et la volonté de conquérir dès lors la parole.
    « Maintenant, les enterrés, à travers l'analyse, reviennent à la lumière, et à travers l'action parviennent aux barricades. Ce sont ceux qui ont eu le courage incendiaire de détruire leur propre âme égarée dans les cieux souterrains où ils s'étaient réfugiés. Soit les catacombes lyriques se tarissent, soit elles débouchent dans les catacombes politiques. (...) » (Oswald de Andrade. Préface à « La Morte »)
    <o:p> </o:p>Et pour ne pas prolonger ce discours plus longtemps, je vous invite à lire la simple lettre à Jacques Chirac des élèves d'un collège professionnel d'une des banlieues où démarrèrent les incendies, écrite en plein cœur des évènements, pour vous convaincre que la vrai crise d'identité n'est pas du côté qu'on croit. Chirac n'a jamais répondu.
    <o:p> </o:p>

       EIA ! Tupi !


     Sao Paulo, le 17 décembre 2005
      Mail : staal@gilles-de-staal.com                                                Gilles de Staal

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  • Nous vous l'annonçons depuis quelques semaines. L'exposition-manifeste Art! Anthropophagie! Aujourd'hui! est avant tout un événement artistique, culturel et philosophique majeur.




    Vous y trouverez, bien sûr, les tableaux de Jaime Zapata et ceux de Gilles de Staal, mais vous pourrez également assister à des rencontres entre citoyens, entre artistes, entre penseurs... A ce blog s'ajoute un ensemble d'articles sur l'événement.



    Cependant, je vous invite à retrouver Gilles de Staal, vendredi 20 octobre 2006, à 11h00 sur Radio Aligre, 93.1


    A.V.


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  • Roberto San Geroteo est un enfant de la guerre civile espagnole, né en Bretagne en 1951, naturalisé Français pour les besoins de la cause.
    Il a publié :


    «La lengua de la quimera » (ediciones Portuguesas – Valladolid , 1990)


    «Dans l'intimité de l'air » (Alibis – Reims, 1999)
    « La solitude du tournesol » (Au fil du temps – Le Havre, 1999)


    « La palabra de un hombre » (Icaria Poesia – Barcelona, 1999)


    « Résonnances » (Le Givre de l'Eclair – Troyes, 2000)


    « La vie s'arrête à va » (Encres Vives – Colomiers, 2000)


    « Le chien d'à côté se tait » (Alidades – Thonon les Bains, 2001)


    « Easy pieces » (La Porte – Laon, 2003)


    « Gens de la nuit » (Encres Vives – Colomiers, 2004)


    Il a traduit en espagnol Bernard Noël, Jean-Marie Le Sidaner, ean Malrieu, Guillevic, Henri Meschonnic, Pierre Dhainaut, et traduit en français de nombreux poètes espagnols contemporains, notamment dans la revue Noire et Blanche qu'il a fondé en 1994 à Charleville Mezière puis au Havre.


    Roberto San Geroteo lira ses poèmes et ceux de César Vallejo,
    à l'exposition-manifeste Ah!Ah!Ah!-A3 : Art-Anthropophagie-Aujourd'hui !


    Galerie de Nesle, le vendredi 10 novembre.


     


    LAURA
    à Florence Rey

    Tu lui ressembles
    parce que tu ne ressembles à personne


    et ton regard étrange regarde l'étranger


    l'épaule nue par intermittences, brune


    aussi fraîche qu'une averse


    dans les mains vides du bonheur.


    Tu lui ressembles
    comme une inconnue à une autre inconnu
    à qui on demande
    comment l'appeler
    et on reste pour voir


    chacun de son côté, transi jusqu'au bout de son rêve


    partir en fumée le long des rues


    jusqu'à l'aube


    dans la bouche un nom propre


    sur ses lèvres le sourire pour le dire.


    Comment se faire la peau de la nuit


    une nuit, pour toujours ?



                                                            Roberto San Geroteo
                                                          ( in Gens de la nuit)

    Un pansement à l'œil, l'absence

    dans la glace, au téléphone.


    Le bruit de la rue devant la mort


    d'un goéland. L'odeur


    des voitures au soleil. Nos filles


    se font femmes. Les rêves


    prennent la poussière.



                                           Roberto San Geroteo
                           Le chien d‘à côté se tait. (Extrait)


    Un homme sait depuis l'enfance

    qu'il va mourir en telle année. C'est un jeu


    puis un destin. Cela


    donne du relief aux saisons


    et du goût aux ongles


    à condition de voir dans chaque flambée


    la dernière


    Une femme blanche, d'autres sont noires.


    Les lèvres fraîches comme la betterave


    les coudes et les yeux sur le marbre d'un café


    elle passe dans la vie d'un homme


    assis en face d'elle, toute une nuit d'automne


    à parler pour ne rien dire de ce qui l'étreint


    depuis son premier regard.

                                           Roberto San Geroteo
                                   La vie s'arrête à va (Extrait)

    Poème de César Vallejo

    (poète péruvien, engagé dans la guerre d'Espagne. 1892-1938)


    Aujourd'hui j'aime la vie beaucoup moins,
    mais j'aime toujours vivre : je le disais bien.
    J'ai presque touché la part de mon tout et me suis contenu
    d'un coup de feu dans la langue derrière ma parole.


    Aujourd'hui je me palpe le menton en fuite
    et dans ces pantalons d'un moment je me dis :
    Tant de vie et jamais !
    Tant d'années et toujours mes semaines... !
    Mes parents enterrés avec leur pierre
    et leur triste raidissement qui n'en finit pas ;
    un portrait en pied des frères, mes frères,
    et, enfin, mon être en plan et en gilet.


    J'aime la vie énormément
    mais bien entendu,
    avec ma mort chérie et mon café
    et en voyant les marroniers touffus de Paris
    et en disant :
    Cet œil est un, un autre ; ce front, un autre...
    et en répétant :
    Tant de vie et jamais ne me fait défaut l'air de la chanson !
    Tant d'années et toujours, toujours, toujours !


    J'ai dit gilet, j'ai dit
    tout, partie, angoisse, j'ai dit presque, pour ne pas pleurer.
    Car c'est vrai que j'ai souffert dans cet hôpital d'à côté
    et c'est bien et c'est mal d'avoir examiné
    de bas en haut mon organisme.


    J'aimerais toujours vivre, ne serait-ce qu'à plat ventre
    car, comme je disais et je le répète,
    tant de vie et jamais ! Et tant d'années,
    et toujours, toujours beaucoup, toujours, toujours toujours



                                       
                                           Traduit de l'espagnol par Roberto San Geroteo

    (Publié dans Blanche et Noire N°spécial été 1996, Charleville Mézière)



     


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