• Encontro Internacional de Antropofagia ! Thème traité, extrait 6

    3) Le corps partagé


     Tout ce questionnement qui traverse la société dans ses générations profonde rencontre inévitablement la crise ressentie dans les banlieues, car les deux reflètent, sur des plans différents mais complémentaires, l'histoire commune et tragiquement contradictoire des couches profondes du même peuple.


    Et ce choc résonne dans la crise de représentation politique qui traverse au même moment la société, et qui s'est révélée dans la séquence des suffrages de 2002, 2004, 2005 : la société ne se reconnaît plus dans son système de représentations et d'institutions qui paraissent dès lors fonctionner comme si elles étaient hors de la réalité. Celles-ci, - représentation politique en général, médias, culture officielle, justice, enseignement... -, tentent de sauver leur légitimité en s'accrochant aux certitudes de toujours et en resserrant les boulons : discours sur « l'identité française », «  les valeurs », « la laïcité française »... alors que la société n'y voit plus qu'un théâtre d'ombres et cherche à tâtons dans cette opacité les nouveaux paradigmes d'une histoire commune et d'une unité à réinventer.


    Le colonialisme est une relation. Apparemment exogène, la métropole d'un côté de la mer, la colonie de l'autre côté. Une relation modifie le visage des deux. Dans l'outremer, l'Indochine, l'Algérie, les colonies se sont libérées en se servant des propres idées de la république française.


    Et la France ? La colonisation a aussi changé le visage de la France. Le peuple français n'est plus ce peuple métropolitain blanc, originaire d'un terroir ancien et provincial. Ce peuple qui a peur de l'eau... et du savon ! Il est un peuple formé d'ex-colonisés, d'ex-métropolitains, des exodes aussi du siècle de guerres qu'il a produites,  et surtout du mélange accéléré de tout cela. Il faut pouvoir se reconnaître dans une histoire commune, une histoire réelle, et en former les valeurs collectives. Mais tout le système de représentations, l'univers institutionnel, les mythologies nationales, les références, les images, les personnages, l'histoire enseignée et retransmise, continuent dans la même version, la version coloniale. Les colonies ont changé, la métropole a changé, mais son institution résiste et ne veut rien changer à rien. 


    Mais alors, de cette façon, la relation coloniale que l'institution républicaine maintien à toutes forces, d'exogène devient endogène. La colonie n'est plus outremer, mais dans la société intérieure elle-même. C'est la propre institution républicaine qui entre en crise.


    Il est à ce titre tout à fait significatif de voir l'entièreté de la représentation politique et médiatique, de la droite à la gauche, s'unir au long des deux ans écoulés en défense des certitudes colonialistes et de la pérennité des valeurs qui en font l'héritage.


    Quelques exemples épars :


    -          Début 2004, dans un élan d'esprit d'intégration (!), le gouvernement annonce le projet de création d'un grand Musée national de l'histoire de l'immigration. Et la commission de politiques et d'universitaires en charge du projet l'installent où ?... Dans l'ancien Musée des colonies et de l'Outremer !


    -          Fin 2004, le Parlement, au nom de la laïcité, vote une loi spéciale, excluant des écoles publiques les jeunes filles musulmanes qui usent d'un voile, même sous forme de simple foulard. Les premières exclues sont deux gamines banlieusardes d'origine juive athée, qui s'étaient converties  dans la manifestation d'une sorte d'orgueil des banlieues. Dans la foulée, plusieurs centaines de jeunes filles sont retirées de l'enseignement... au nom, bien sûr du progrès de la condition féminine. Seuls les communistes et les verts votent contre la loi.


    -          23 février 2005, le même parlement invente une nouvelle loi, portant « reconnaissance de la Nation pour l'œuvre coloniale et l'action des Forces armées dans les départements d'Outremer » et obligeant, dans les programmes d'enseignement à faire ressortir «  le rôle positif » de la colonisation. Seuls les communistes, les verts, et de rares socialistes votent contre.


    -          Mars 2005, les féministes de gauche organisent à Paris une manifestation commémorative du trentième anniversaire de la loi autorisant l'avortement et la contraception gratuits ; un cortège de jeunes filles musulmanes, beaucoup portant le voile, venues des banlieues, veulent se joindre au défilé et sont expulsées par les féministes... au nom toujours du progrès de la condition féminine. Chassées, elles ne parviennent à défiler que sous la protection des anarchistes !


    -          Novembre 2005, la loi établissant l'état d'urgence pour réprimer la révolte des banlieues, dont l'entrée en vigueur doit être votée par le parlement, n'est autre que la loi de 1955 créée pour permettre la guerre en Algérie et jamais utilisée en métropole depuis lors.  Seuls les communistes (pas tous) et les verts votent contre. Ce n'est que pour sa prolongation, en décembre, que les socialistes se décideront à voter contre.


    -          Décembre 2005, la loi du 23 février repasse au parlement convoqué en session solennelle, à l'issue des émeutes de novembre. Elle est massivement approuvée, longs discours colonialistes à l'appui. Seuls les communistes et les verts la rejettent en bloc. Les socialistes ne voulant en modifier que le paragraphe concernant l'obligation d'enseignement.


    ..... etc.


    Comment les jeunes et moins jeunes des banlieues, dont les parents ou grands parents ont vécu la réalité du colonialisme, ont été « main d'œuvre indigène » importée, qui souffrirent les discrimination et l'administration coloniale de l'immigration, comment « la banlieue » de la société peut lire ces faits ? Comment un jeune Français, dont le père, alors immigré en métropole et qui aurait échappé aux massacre de 1961 organisés par le préfet Papon, doit il comprendre l'application de la loi de 1955 ? Comment les enfants d'anciens soldats qui firent la guerre contre le peuple algérien et souffrirent toute leur enfance du silence taciturne et pesant des pères, peuvent ils entendre cela ? Comment quelqu'un, dont les villages familiaux furent détruits au napalm avec leurs habitants par l'aviation française, doit il manifester sa « reconnaissance nationale » ? Comment quelqu'un qui s'identifie aux « valeurs » du « consensus républicain », peut-il en même temps « souligner le rôle positif » du travail forcé, de la discrimination et de l'arbitraire racial ?  A quelle France tous ceux là doivent-ils appartenir ? Ou alors, doit on les stigmatiser comme « mauvais Français », faux  Français ? Et comment quelqu'un, qui s'identifie au « consensus républicain »,  peut-il en même temps s'identifier à un système qui réinvente les « bons » et les « mauvais » Français, exactement comme le fit le régime de collaboration pétainiste ?


    C'est tout cela qui explose dans cette « crise des banlieues », dans cet incendie qui s'est étendu au pays entier. La révolte des banlieues résonne dans la crise du corps national. Le corps de la société, le corps national, le corps culturel est partagé, déchiré, « comme un immense cadavre gangrené ». Une nouvelle identité commune se cherche... qui ne peut venir que de la dévoration de cette vieille France qui s'entête à se vivre dans la continuité de son histoire coloniale. Et cet entêtement du gouvernement et de toute la représentation institutionnelle à se maintenir dans les mêmes vieux poncifs ne fait qu'aggraver cette partition du corps de la société, ouvrant sans s'en rendre compte, vers des incendies bien plus ardents que ceux de novembre.


    Le corps de la société est partagé...


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