• LES MALASSIS OU LA PERVERSION SUBVERSIVE

     De 1970 à 1978, cinq peintres tentent de pervertir les règles des institutions culturelles, du marché de l'art et de la création individuelle. (article paru dans l'Humanité du 29 novembre 1999 à l'occasion de l'expo rétrospective organisée par la municipalité de Bagnolet)



    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p> Mardi 16 mai 1972, à Paris: le Grand Palais est cerné par les CRS. C'est l'ouverture de la grande exposition «12 ans d'Art contemporain» qui reste dans les mémoires comme «l'exposition Pompidou». Elle est censée témoigner de la vitalité de l'ère gaulliste en matière (d'arts) plastiques et, accessoirement, camper Georges Pompidou en Grand protecteur des arts, au moment où, sur le plateau Beaubourg, s'érige le futur musée qui portera son nom. Mais au lieu d'entrer dans le Grand Palais, voilà que les tableaux en sortent, entre deux haies de casques et de pèlerines luisantes. Les photographes de la presse internationale mitraillent la scène. Les peintres retirent leurs oeuvres pour protester contre le siège policier, et la foule les applaudit. La coopérative des Malassis, groupe issu du Mouvement de la jeune peinture, fait son entrée fracassante dans l'histoire des scandales de l'Art.
    <o:p></o:p><o:p> </o:p>L'objet du délit: une fresque collective monumentale de soixante cinq mètres de long intitulée «Le grand méchoui». «On voulait raconter, faire le procès du gaullisme, de son arrivée au pouvoir, ses scandales inimaginables, le métro Charonne... en évitant de produire des oeuvres d'une simple valeur esthétique, on y allait (à l'exposition), - puisque de toutes façons on ne peut jamais échapper aux institutions -, sans adhérer au régime mais en le condamnant» dira vingt ans plus tard le peintre Jean Claude Latil, un des auteurs. Un autre, Gérard Tisserand, constate aujourd'hui en revoyant «Le grand Méchoui»: «Si on change ça et là quelques têtes, c'est toujours d'actualité.» On peut aller le vérifier par soi même, pour encore une semaine, à Bagnolet où la municipalité organise une rétrospective complète de l'oeuvre des Malassis réalisée entre 1970 et 1978.
    <o:p></o:p><o:p> </o:p>Oeuvre polémique, subversive et violente, dont on aurait tort de croire qu'elle se réduit à une mise en image d'idées politiques et sociales. En se constituant en coopérative, les Malassis, - parce que Tisserand a son atelier sur le plateau du même nom à Bagnolet -, répondent à leur manière, en 1970, aux âpres débats qui traversent les milieux de la peinture depuis 1968. C'est l'époque des controverses théorico-politiques les plus extrémistes sur «la mort de l'art», l'artiste «individualiste» qui doit s'effacer devant «Le Peuple», la dénonciation de «l'humanisme bourgeois», le refus du marché, celui de la «kollaboration» avec les institutions, signer ou pas signer les oeuvres... résultat parfois cocasse: à l'expo de «La salle rouge pour le VietNam» en 1969, un tableau rompt radicalement avec «l'art bourgeois-révisionniste» en présentant une toile... toute rouge! Le Front révolutionnaire des artistes plasticiens (FRAP) récuse toute participation à l'institution culturelle. Henry Cueco, Lucien Fleury, Jean Claude Latil, Michel Parré, Gerard Tisserand et Christian Zeimert sont de ces débats.  Cette rupture n'est pas la leur, ils pensent pouvoir «pervertir» l'institution. Ils ont animé, en mai et juin 1968, l'Atelier graphique du comité d'occupation des Beaux Arts qui a produit les fameuses affiches du mouvement de Mai.
    <o:p></o:p><o:p> </o:p>Participant depuis 1965 au Mouvement de la jeune peinture qui entendait produire une réponse européenne au pop-art américain, ils cherchent à retourner les images par lesquelles la société de consommation sature l'univers quotidien pour révéler le malaise existentiel, social, sexuel, politique de cette société. Subvertir l'univers visuel de la «Nouvelle société» du pompidolisme, qui se vante et s'étale dans l'après 68, en défendant ardemment la liberté signifiante de la peinture. C'est la figuration narrative et critique. Mais aussi, subvertir sans s'omettre en tant qu'artiste, autrement dit en se mettant en cause.
    <o:p></o:p>Se mettre en cause dans l'institution du marché de l'art, dans le statut «au dessus de la mêlée» de l'artiste... se mettre en cause dans l'inconfort même de l'artiste dont les enjeux, s'ils sont en marge, ne sont justement pas hors du cadre institutionnel.  Qui dit inconfort, dit mal- assis, CQFD. La coopérative, par sa structure et son fonctionnement autogéré, déstabilise déjà le rapport au marché, la création collective avec son corollaire, l'absence de signature, le dynamite complètement. La quadrature du cercle, c'est d'y parvenir, sans renoncer à l'unité de l'oeuvre, au style, à l'émotion personnelle du peintre, à la lente profondeur de la descente dans les contenus complexes d'un tableau... sans renoncer, en un mot, à la peinture.
    <o:p></o:p>Il faut admettre que cette performance, accomplie avec succès pendant huit ans, tient, - au delà du grand talent de peintres dont l'oeuvre de chacun témoigne par ailleurs abondamment -, à l'extraordinaire vitalité de la vague de contestation politique, sociale, morale, esthétique de la société par les extrêmes gauches de l'époque, sur laquelle vogue le travail des Malassis. Cette vague les mène au sommet dans les «Onze variations sur le Radeau de la Méduse ou la dérive de la société», une série de panneaux monumentaux, 2000m², destinés à orner les façades du centre commercial de la ville d'Echirolle, près de Grenoble. «Le radeau de la Méduse» comme allégorie du naufrage dans un univers de frites congelées, d'exotisme d'agence de voyage et conserves usagées, summum de la perversion délibérée des fonctions digestives de l'Art dans la société moderne. On regrette que l'exposition ne mette pas mieux en valeur cette oeuvre des Malassis, mais le voyageur attentif pourra encore en profiter d'un regard incrédule, si le hasard de sa route le conduit vers Grenoble en provenance de Chambéry.
    <o:p></o:p>Par contre, l'exposition a le mérite de restituer ce contexte de contestation généralisée en rompant avec les muséographie lénifiantes de «68 et après», par l'affichage sauvage, sur les murs du centre de Bagnolet, des pamphlets, affiches, tracts et dazibaos qui y fleurissaient dans les années soixante-dix...  et si ce n'était alors sur les mêmes murs, en tous cas sur bien d'autres ailleurs. La rétrospective, qui occupe divers lieux dans la ville, s'achève dans la salle de conférence de la mairie par «L'appartemensonge», angoissante représentation grandeur nature d'un F3 dans le «style Vème République», et surtout par l'acte de dissolution de la coopérative, où chaque artiste retourne à son oeuvre personnelle, en 1977, quand le grand mouvement de la société retourne dans le lit de la politique sérieuse. Chaque artiste se représente en gardien de musée de son propre tableau:



    «Les affaires reprennent». Elles continuent toujours.




     

    G.S.

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