• 3) L'homme : immigration ?


     

    Quand on parle de « banlieue », généralement très vite viennent des considérations sur « l'immigration »... Sauf que, malgré ce qui se dit et se pense, la proportion de travailleurs immigrés dans la population française est la même, avec des variables peu relevantes, depuis... les années vingt, et à vrai dire exactement depuis 1912 !  Dans les années trente, ils se répartissaient entre, d'un côté des travailleurs italiens, espagnols, polonais et juifs d'Europe centrale, ceux là fuyant les régimes fascistes et la crise agraire de leurs pays, et de l'autre des ouvriers venus des colonies françaises d'Afrique du nord, ceux-ci soumis à un régime juridique, administratif et social ségrégatif appelé «indigénat » sous le nom de « Main d'œuvre indigène » (MOI), sans droits familiaux ni d'accès à la citoyenneté, et à une carte de travail spéciale. Après la guerre, avec la reconstruction européenne, le flux européen diminua, remplacé par l'immigration nord-africaine, celle-ci systématiquement encadrée par l'administration coloniale afin de satisfaire aux besoins de main d'œuvre de la reconstruction et de la croissance industrielle.


    Sur une telle durée et au fil des décennies, une grande partie de ces ouvriers s'enracinèrent en France, faisant que la sonorité des noms français, surtout dans les classes populaires, devint peu à peu autant slave, ibérique, italienne ou arabe que française, et bien souvent un mélange de tout cela. C'est du reste mon cas, et il suffit de jeter un regard sur l'annuaire téléphonique de n'importe quelle ville industrielle française pour le constater. Dans les années soixante-dix, la classe ouvrière pouvait être évaluée à environs 10 millions de salariés, dont trois millions d'immigrés soit près du tiers, sans prendre en compte bien sûr les anciens immigrés déjà naturalisés.


    De ces trois millions, il y en avait près de deux originaires des anciennes colonies françaises d'Afrique, la plus grande partie d'Algérie, beaucoup d'entre eux installés depuis les années cinquante et même bien avant. Mais pour ceux-là, même si formellement le statut de « l'indigénat » était aboli avec les colonies, l'administration coloniale de leur vie en France continuait la même : habitations spéciales séparées des Français avec interdiction de contacts (les « foyers »), concentrés dans des banlieues, police administrative spéciale (le SAT – Service d'Assistance Technique) héritée de « l'indigénat » et formée d'anciens fonctionnaires coloniaux, prestations sociales séparées et calculées sur une autre base, interdiction familiale, droit à la naturalisation quasi impossible si ce n'est par mariage... etc. Et surtout, discrimination, racisme, enfer administratif, le tout aggravé par le confinement. Le souvenir que l'immigration nord-africaine avait participé activement, avec un courage exemplaire et massif, à la lutte d'indépendance algérienne renforçait le préjugé raciste et la suspicion de l'administration, des médias et d'une part notable de l'opinion des classes moyennes. Malgré le fait que cette part de la population connaissait les plus faibles indices de délinquance et d'incivilité, elle fut toujours traitée comme une « classe dangereuse ».  


    Ce racisme et cette ségrégation servirent aussi, bien sûr, à tenter de diviser les grandes luttes ouvrières post 1968, auxquelles les travailleurs immigrés d'origine coloniale participèrent activement pour y conquérir l'égalité des droits. Les réflexes et clichés racistes de la vieille extrême droite française et de la nostalgie colonialiste furent systématiquement mobilisés en ce sens... créant dans l'opinion publique un supposé « problème de l'immigration ». Mais quel « problème de l'immigration » ?!.. En vérité, c'est le problème de soixante ans d'administration coloniale d'un quart ou un tiers du monde ouvrier.


    Enfin en 1978, la loi du « regroupement familial » reconnut le droit des immigrés installés en France à y élever une famille... De fait, de nombreux chefs de famille, qui étaient là depuis des décennies, avaient déjà parfois réussi à obtenir la nationalité, souvent en se mariant avec une Française... Les enfants qui naissaient, évidemment naissaient français de plein droit, puisqu'il n'existe du reste aucune autre définition juridique ou politique d'un Français que le fait d'être né ou d'avoir grandi depuis la tendre enfance dans ce pays. Comme par exemple le propre ministre français de l'Intérieur et pré candidat à la présidence de la république, Nicolas Sarkosy, de père et mère hongrois.


    Mais si cela mit fin à une discrimination juridiquement insoutenable, raciste et coloniale, il n'y eut aucune autre mesure politique, familiale, culturelle complémentaire pour que cela aille au delà d'une concession de pure forme. Et même diverses exceptions de droit civil maintinrent des aspects de l'indigénat dans le droit familial concédé, notamment quant au statut de la femme. Quant à la presse, elle présenta généralement cette égalité juridique élémentaire comme un « cadeau bien généreux » aux anciens colonisés, qui de plus risquait d'altérer « l'identité » française (personne ne se demanda combien la colonisation avait altéré les identités africaines !).


    Et tout cela fut jeté dans les banlieues et abandonné au sauve-qui-peut, dans la crise sociale et économique des années quatre-vingt, le chômage de masse, le confinement et la stigmatisation des « quartiers dangereux ». Mais cela fait donc en tous cas près de trente ans que ce n'est plus d'une question d'immigration étrangère qu'il s'agit.


     


    4) L'homme : jeune, rebeu ou renoi... céfran


     


    Aujourd'hui, il est clair que les Français réels sont assez différents des Français fantasmés du cinéma de René Clair ou de Renoir. Ils n'ont pas la tête de Jean Gabin ou de Raimu. Ils reflètent le visage de l'histoire réelle et difficile par laquelle la société est passée au fil du siècle achevé... Mais la société officielle continue comme si rien de cette histoire n'avait eu lieu, se regardant dans le miroir des vieux films, du temps de « l'Empire colonial », des « revues nègres » de music-halls ou des expositions universelles des années trente où l'on emmenait les collégiens voir des « zoos humains » de sauvages indigènes des colonies...


     Difficile pour un jeune Français, dont le père originaire d'Algérie est arrivé en 1950 comme « main d'œuvre indigène », d'accepter ce miroir pour le pays où il est né et où il vit et qui est pourtant bien le sien !


    Et de l'autre côté... dans le bla-bla des parents qui bien souvent, démoralisés, tentent de sauver le rêve d'un « autre » pays, Algérie, Maroc, Sénégal... ce n'est pas tellement mieux. La réalité, souvent, est échec, misère, guerre civile, oppression familiale. « Inter urinas et faeces... »


    Déjà l'époque n'est plus à l'héroïsme romantique et mortifère de Khaled Kelkal. Parfois le refuge dans l'observance religieuse te donne un cadre, un sentiment d'amour-propre, de dignité, mais ni plus ni moins. Déjà c'est une nouvelle génération, la deuxième née ici. Déjà une culture de vie sociale a commencé à naître : rap, tags, clips.... Une façon de parler propre aux « banlieues », un « verlan » où tout ce dit à l'envers : « céfran » pour français, « rebeu » pour arabe, « renoi » pour noir, « meuf » pour femme, « ouf » pour fou ! Il n'y a pas d'issue dans un « ailleurs ». Alors c'est ici que les céfran vont devoir s'entendre avec les rebeus et les renois pour que tout le monde ne devienne pas ouf !


     

    5) La banlieue : l'incendie


     

    Ce fut tout cela qui explosa et qui devait exploser. Les rapports policiers sont clairs : le seul motif d'étonnement est que ça n'ait pas explosé bien avant. L'ennui et la rage rampaient depuis quinze ans dans toutes les banlieues. Selon le même rapport, cela fait dix ans que se brûle en France une moyenne de cent voitures par jour dans ces quartiers, à cause d'incidents épars et chroniques... ce qui fait 35 000 par an. En trois semaine, il s'en est brûlé un peu plus qu'en un an, 40 000. Pour cela, nul besoin d'une organisation, d'une planification, d'aucune conspiration. Suffisait le sentiment d'appartenir à la même réalité, du nord au sud du pays, et celui de devoir être entendu. Et suffisait un souffle sur la braise : les discours racistes et provocateurs des medias, les mesures discriminatoires de la représentation politique, du gouvernement, un souffle un peu plus fort que d'habitude dans un climat de crise politique et de tentations démagogiques.


    Les faits sont d'une simplicité ... : un résumé concentré de la vie. C'était le soir de rupture du Ramadan, la fête traditionnelle, le nouvel an musulman. Fête collective, familiale, de voisinage, où les amis « renoi », « rebeu » ou « céfran » sont invités. Il y a une heure précise pour la rupture du jeûne, après le coucher du soleil. Cinq amis entre 14 et 18 ans attendaient l'heure pour rentrer à la maison, à l'heure pile, et la trouille des gronderies en cas de retard. Ils sont allés faire un petit foot pour tuer l'heure. Après, il restait encore une demi heure. Là, au pied de l'immeuble. La patrouille est passée. Tous sont français, mais avec des « têtes de banlieue » : certains avaient laissé les papiers à la maison. Peur des embrouilles, qui peuvent durer, conduire au commissariat, avec ensuite l'engueulade des parents... Ils ont filé, en courant, la police aux trousses. Deux parvinrent à échapper. Les trois plus jeunes, acculés, sautèrent la grille du transformateur électrique de la région. L'autre patrouille arrivait, par l'autre côté. Pas d'issue. Ils ont ouvert la porte de la cabine et s'y sont blottis, dans l'obscurité, en attendant que passe la vague. Une demi heure. La police avait déjà laissé tomber. Un des mioches, dans le noir, a bougé. Il a touché quelque chose. Le court circuit a déchargé 20 000 volts en un éclair. Deux moururent carbonisés d'un coup. La coupure de courant a éteint le quartier entier, jusqu'à l'ordinateur de la police. Le troisième gamin, brûlé à 80% a repris connaissance, est sorti du piège en se traînant, a appelé par le portable, puis s'est évanoui... les familles accoururent, désespérées. Et la police quadrillant toute la région. La presse à sa suite. Le ministre de l'intérieur qui à cette heure faisait bla-bla électoral sur l'insécurité, préparant sa candidature pour 2007, déclara que c'étaient des bandits, trafiquants, délinquants, criminels. Emphatique : «  Je vais vous débarrasser de cette racaille ». En rajoutant : « Je ne vais pas pleurer la mort de deux criminels »... de 15 ans ! Peu avant, il avait déjà lancé : «  Je vais nettoyer les banlieues au Kärcher.» « Racaille », le mot a sonné lourdement, alors que le gosse survivant, dans le coma, n'était pas même encore arrivé à l'hôpital.


    Alors, l'incendie a commencé, là, dans cette cité de Clichy sous Bois. Dans la nuit, il s'emparait déjà du département entier, la Seine St Denis, qui n'est pas Paris, qui est la banlieue, mais c'est quand même là qu'a eu lieu le Mondial de Football de Paris. Ministre entêté, « racaille » devient la formule d'élection des médias enchantés. Il mobilise la réserve de la gendarmerie. Sentiment de solidarité, d'indignation, d'identification. En trois nuits, toutes les banlieues de Paris s'allumèrent. Le gouvernement mobilise 40 000 hommes de police de choc, ordonne d'arrêter, déférer aux tribunaux qui commencent à siéger en horaires extra. Les medias dénonçant en vrac : les bandes islamiques, les trafiquants, le nihilisme, la barbarie. Le reste, le monde entier l'a vu. Pendant trois semaines, la révolte s'est répandue dans toutes les banlieues de toutes les villes, grandes ou modestes, du pays entier...


    Il n'y a pas eu de morts, il n'y a pas eu de combats, il n'y a pas eu de fusillades. Des voitures brûlées et des gamins qui cavalent, en jouant plus qu'en combattant contre la police.


    A une manifestation d'indignation purement spontanée, le gouvernement a répondu par des mesures de guerre civile. Etat d'urgence, en ressortant une loi qui jusqu'alors n'avait été appliquée que durant la guerre d'Algérie, la loi de mars 1955, confirmant ainsi cette vieille mentalité de traiter les banlieues d'un point de vue colonial :


    - Couvre feu ;


    - Perquisitions sans mandat judiciaire de jour et de nuit ;


    - Loi des suspects ;


    - Menace de censure sur la presse et la correspondance ;


    - Mobilisation des tribunaux pénaux, pour condamner en cadences fordistes ;


    - Rétablissement du travail infantile (même de nuit) à partir de 14 ans pour les enfants récalcitrants.


    Une répression qui n'avait jamais connu une telle rigueur, ni en 1968, ni contre les grandes grèves d'allure insurrectionnelle de 1978-79, et moins encore quand les commerçants manipulés par l'extrême droite en 1997, brûlaient les recettes publiques et envahissaient les ministères.


    Aujourd'hui, à la mi-décembre, plus de 700 condamnations à prison ferme, de quatre mois à deux ans et demi, ont déjà été prononcées. Et maintenant, on peut donc savoir qui sont ces redoutables insurgés, barbares, bandits, musulmans, clandestins... Dans 85% des cas, les condamnés sont des enfants de 14 à 18 ans, français, d'origines populaires diverses, sans le moindre antécédent judiciaire ni même d'une main-courante. Dans l'enthousiasme guerrier, le gouvernement annonça l'expulsion immédiate et sans appel de tous les étrangers pris, qu'ils soient clandestins ou en situation régulière : sur les 1800 gamins arrêtés par la police, on n'a pas pu trouver plus de sept malheureux à expulser ainsi, parce que pour une bourde administrative ils n'étaient pas encore totalement et définitivement devenus français. Il n'y a donc aucun problème d'immigration étrangère dans cette crise.


    Si ce n'est un problème racial ou d'immigration, serait-ce alors simplement un problème de pauvres contre riches, une crise sociale ?


    Si ce n'était que ça, une explosion sociale passagère et réprimée, comment expliquer que ce gouvernement, qui est le plus illégitime que nous ayons connu depuis la guerre, justement à cause de sa politique sociale, un gouvernement qui a été honteusement défait dans trois scrutins nationaux successifs en trois ans, qui ne se maintient que grâce à une majorité parlementaire douteusement obtenue en 2002 et démentie par les électeurs dès l'année suivante, un gouvernement qui encore en octobre devait endurer les manifestations de protestation nationale d'un million et demi de salariés, comment expliquer que ce coup ci, ce gouvernement à soudain rencontré l'appui généralisé de l'opinion à 70% !?


    Comment expliquer qu'il ait pu dans cette crise sortir ainsi la droite de son isolement, et trouver l'appui de l'opinion dans une espèce de coup d'Etat feutré préparant des séries de mesures réactionnaires qu'il n'aurait jamais pu même évoquer deux mois auparavant ?


    Comment expliquer ce climat d'excitation désinhibé et d'applaudissements enthousiastes aux déclarations les plus racistes des personnages les plus autorisés de la politique, des médias, de l'intelligentsia : « La France on l'aime ou on la quitte !(2)» ; « Il faut établir un contrôle des mosquées ! » ; « Instaurer la censure sur les paroles des musiques ! » ; « Exiger des jeunes français enfants d'immigrés un serment de fidélité à la nation ! » ; « Retirer la nationalité aux enfants délinquants de naturalisés ! » ? Comment expliquer les déclarations délirantes d'intellectuels en vue, comme Alain Finkielkraut, désignant « les Noirs » comme responsables du désordre, ou Hélène Carrère d'Encausse dénonçant « la polygamie de ces gens qui prolifèrent de façon incontrôlée »... ?


    Comment expliquer que du jour au lendemain, la gauche qui se préparait tranquillement à sa future victoire électorale pour 2007, s'est retrouvée coite, sourde et muette devant les évènements, se contentant de réclamer du manque de crédits sociaux, pour finir politiquement isolée au sortir de la crise ?


    L'explosion a révélé une crise bien plus profonde de la société française, une crise qui touche aux certitudes culturelles, morales, politiques, institutionnelles, identitaires de la nation. Elle a été aussi puissante parce qu'elle a éclaté au moment politique, historique et culturel où tous ses ingrédients étaient arrivés à maturité. Ce qui remonte est un plat qui n'a jamais été digéré, qui pesait depuis des lustres sur l'estomac, et qui se trouve dégurgité brutalement. Cela s'appelle  l'indigestion coloniale. Ce plat, il va falloir le nettoyer, le préparer dans les règles de l'art, afin de le digérer cette fois pour de bon. 


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  • Portrait de Oswald de Andrade


     


    Manifeste Anthropophage

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Seule l'anthropophagie nous unit. Socialement. Economiquement. Philosophiquement.

    <o:p></o:p>

    Unique loi du monde. Expression masquée de tous les individualismes, de tous les collectivismes. De toutes les religions. De tous les traités de paix.

    <o:p> </o:p>Tupi, or not tupi that is the question* (1).

    Contre toutes les catéchèses. Et contre la mère des Gracques.

    <o:p></o:p>

    Seul m'intéresse ce qui n'est pas mien. Loi de l'homme. Loi de l'anthropophage.

    <o:p></o:p>

    Nous sommes fatigués de tous les maris catholiques suspicieux mis en drame. Freud en a fini avec l'énigme femme et les autres frayeurs de la psychologie imprimée.

    <o:p></o:p>

    L'obstacle à la vérité, c'était le vêtement, l'imperméable entre le monde extérieur et le monde intérieur. Réagir contre l'homme vêtu. Le cinéma américain informera.

    <o:p></o:p>

    Fils du soleil, mère des vivants. Trouvés et aimés férocement, avec toute l'hypocrisie des souvenirs, par les immigrés, par les trafiqués et les touristes. Au pays du grand serpent.

    <o:p></o:p>

    C'est pourquoi nous n'avons jamais eu de grammaire, ni collectionné les herbiers. Et nous n'avons jamais su ce qui était urbain, suburbain, frontalier et continental. En flemmardant sur la mappa mundi du Brésil.


    Une conscience participante, une rythmique religieuse.

    <o:p></o:p>

    Contre tous les importateurs de conscience en boite. L'existence palpable de la vie. Et la mentalité prélogique pour les études de M. Lévy-Bruhl (2).

    <o:p></o:p>

    Nous voulons la Révolution Caraïbe. Plus grande que la Révolution Française. L'unification de toutes les révoltes efficaces en direction de l'homme. Sans nous l'Europe n'aurait même pas sa pauvre déclaration des droits de l'homme.


    L'âge d'or annoncé par l'Amérique. L'âge d'or. Et toutes les girls.

    <o:p></o:p>

    Filiation. Le contact avec le Brésil Caraïbe. Ori Villegaignon print terre(3). Montaigne. L'homme naturel. Rousseau. De la Révolution Française au Romantisme, à la Révolution Bolcheviste, à la Révolution Surréaliste et au barbare technicisé de Keyserling (4). On a fait du chemin.

    <o:p></o:p>

    Jamais nous n'avons été catéchisés. Nous vivons selon un droit somnambule. Nous avons fait naître le Christ à Bahia. Ou à Belém du Para.


    Mais nous n'avons jamais admis la naissance de la logique parmi nous.

    <o:p></o:p>

    Contre le Père Vieira (5). Auteur de notre premier emprunt, pour toucher la commission. Le roi-analphabète lui avait dit : couche ça sur le papier mais sans trop de combines. L'emprunt a été fait. Le sucre brésilien indexé. Vieira laissa l'argent au Portugal et nous a ramené les combines.

    <o:p></o:p>

    L'esprit se refuse à concevoir l'esprit sans le corps. L'anthropomorphisme ; Nécessité du vaccin anthropophagique. Pour contrebalancer les religions du méridien. Et les inquisitions extérieures.

    <o:p></o:p>

    Nous ne pouvons être disponibles qu'au monde auriculaire.


    Nous avions la justice codification de la vengeance. La science codification de la Magie. Anthropophagie. La transformation permanente du Tabou en totem.

    <o:p></o:p>

    Contre le monde réversible et les idées objectivées. Cadavérisées. Le stop de la pensée qui est dynamique. L'individu victime du système. Source des injustices classiques. Des injustices romantiques. Et l'oubli des conquêtes intérieures.

    <o:p></o:p>

          Plans de route. Plans de route. Plans de route. Plans de route. Plans de route. Plans de route. Plans de route.

    <o:p></o:p>

    L'instinct Caraïbe.

    <o:p></o:p>

    Mort et vie des hypothèses. De l'équation, moi partie du Cosmos, à l'axiome, Cosmos partie du moi. Subsistance. Connaissance. Anthropophagie.

    <o:p></o:p>

    Contre les élites végétales. En communication avec le sol.

    <o:p></o:p>

    Jamais nous n'avons été catéchisés. Nous avons fait le Carnaval. L'indien costumé en sénateur d'Empire. En Pitt pour de rire. Ou bien dans les opéras d'Alencar (6) plein de bons sentiments portugais.

    <o:p></o:p>

    Nous avions déjà le communisme. Nous avions déjà la langue surréaliste. L'âge d'or.

    <o:p></o:p>

    Catiti Catiti


    Imara Notià


    Notià Imara


    Ipeju (7).

    <o:p></o:p>

    La magie et la vie. Nous avions la relation et la distribution des biens physiques, des biens moraux, des biens distinctifs. Et nous savions transposer le mystère et la mort à l'aide de quelques formes grammaticales.

    <o:p></o:p>

    J'ai demandé à un homme ce qu'était le Droit. Il m'a répondu que c'était la garantie de l'exercice de la possibilité. Cet homme s'appelait Galli Mathias. Je l'ai mangé.

    <o:p></o:p>

    Le déterminisme n'est absent que là où il y a mystère. Qu'est-ce qu'on en a à faire ?

    <o:p></o:p>

    Contre les histoires de l'homme qui commencent au Cap Finistère. Le monde sans date. Sans rubrique. Sans Napoléon. Sans César.

    <o:p></o:p>

    La fixation du progrès au moyen de catalogues et d'appareils de télévision. Seulement la machinerie. Et les transfuseurs de sang.

    <o:p></o:p>

    Contre les sublimations antagoniques. Apportées dans les caravelles.

    <o:p></o:p>

    Contre la vérité des peuples missionnaires, définie par la sagacité d'un anthropophage, le vicomte de Cairu (8) : - C'est un mensonge maintes fois répété.

    <o:p></o:p>

    Mais ce ne sont pas des croisés qui vinrent. C'étaient des fugitifs d'une civilisation que nous sommes en train de manger, parce que nous sommes forts et vindicatifs comme le Jabouti (9).                                                


     Si Dieu est la conscience de l'Univers Incréé, Guaraci est la mère des vivants. Jaci (10) est la mère des végétaux.

    <o:p></o:p>

    Nous n'avions pas la spéculation. Mais nous avions la divination. Nous avions la Politique qui est la science de la distribution. Et un système social-planétaire.

    <o:p></o:p>

    Les migrations. Fuir les Etats ennuyeux. Contre les scléroses urbaines. Contre les Conservatoires et l'ennui spéculatif.

    <o:p></o:p>

    De William James et Voronoff (11). La transfiguration du Tabou en totem. Anthropophagie.

    <o:p></o:p>

    Le pater familias et la création de la Morale de la Cigogne : Ignorance réelle des choses + manque d'imagination + sentiment d'autorité devant la progéniture curieuse.

    <o:p></o:p>

    Il faut partir d'un profond athéisme pour parvenir à l'idée de Dieu. Mais la caraïbe n'en avait pas besoin. Parce qu'elle avait Guaraci.

    <o:p></o:p>

    L'objectif créé réagit comme les Anges Déchus. Ensuite Moïse divague. Qu'est-ce qu'on en a à faire ?

    <o:p></o:p>

    Avant que les Portugais ne découvrent le Brésil, le Brésil avait découvert le bonheur.

    <o:p></o:p>

    Contre l'indien au flambeau. L'indien fils de Marie, filleul de Catherine de Médicis et gendre de Dom Antonio de Mariz (12).

    <o:p></o:p>

    La joie est la preuve par neuf.

    <o:p></o:p>

    Dans le matriarcat du Pindorama (13).

    <o:p></o:p>

    Contre la Mémoire source de coutume. L'expérience personnelleCréé par GillesCréé par Gilles renouvelée.

    <o:p></o:p>

    Nous sommes concrétistes. Les idées s'imposent, s'opposent, brûlent les gens sur les places publiques. Supprimons les idées et les autres paralysies. Pour les plans. Croire aux signaux, croire aux instruments et aux étoiles.

    <o:p></o:p>

    Contre Goethe, la mère des Gracques, et la cour de Dom Joao VI (14).

    <o:p></o:p>

    La joie est la preuve par neuf.

    <o:p></o:p>

    La lutte entre ce qui s'appellerait l'Incréé et la Créature, - illustrée par la contradiction permanente de l'homme et de son Tabou. L'amour quotidien et le modus vivendi capitaliste. Anthropophagie. Absorption de l'ennemi sacré. Pour le transformer en totem. L'humaine aventure. La finalité terrienne. Pourtant, seule les pures élites parvinrent à réaliser l'anthropophagie charnelle, qui porte en soi le sens le plus élevé de la vie et évite tous les maux identifiés par Freud, maux catéchistes. Ce qui se passe n'est pas une sublimation de l'instinct sexuel. C'est l'échelle thermométrique de l'instinct anthropophagique. De charnel, il devient électif et crée l'amitié. Affectif, l'amour. Spéculatif, la science. Il dévie et se transfère. Nous tombons dans l'avilissement. La basse anthropophagie agglomérée dans les péchés du catéchisme, - l'envie, l'usure, la calomnie, l'assassinat. Peste des soi disant peuples cultivés et christianisés, c'est contre elle que nous agissons. Anthropophages.

    <o:p></o:p>

    Contre Anchieta (15) baratinant les onze mille vierges du ciel, sur la terre d'Iracema, - le patriarche Joao Ramalho (16) fondateur de Sao Paulo.

    <o:p></o:p>

    Notre indépendance n'a pas encore été proclamée. Phrase typique de Dom Joao VI : - Mon fils, pose cette couronne sur ta tête avant qu'un quelconque aventurier ne le fasse ! Nous avons expulsé la dynastie. Il faut expulser l'esprit de Bragance, les ordinations et la poudre à priser de Maria da Fonte (17).

    <o:p></o:p>

    Contre la réalité sociale, vêtue et répressive, répertoriée par Freud  - la réalité sans complexe, sans folie, sans prostitution et sans pénitenciers du matriarcat de Pindorama.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    Oswald de Andrade


     Piratininga (Brésil)


    An 374 de la déglutition de l'évêque Sardinha (18).


    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>Notes :
    <o:p> </o:p>* En anglais dans le texte. En règle générale, les phrases et expressions en langues étragères dans le textes originalsont reproduites ici en italique suivies d'un astérisque.
     (1) Tupi (ou Tupinamba, Tupinambour en français – Montaigne), groupe de nations indiennes, la plupart anthropophages, que les conquérants rencontrèrent en prenant pied au Brésil. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(2) Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939). Philosophe français ; étudie les mœurs en fonction de la morale (La morale et les mœurs -1903). A 53 ans se tourne vers l'anthropologie et étudie les « mentalités primitives ». Reconnaissant que « les primitifs » possèdent « la même structure de l'appareil cérébral » que les « civilisés », il établit néanmoins une « différence de nature » irréductible entre les deux « systèmes mentaux ».  Les « primitifs » seraient pourvus d'un « système mental mystique et prélogique » les rendant « incapables de construire des raisonnements à partir de l'expérience et de l'observation » et de dépasser le stade de la pensée infantile (Lévy-Bruhl : La Mentalité primitive – Paris 1922).
    <o:p> </o:p>(3) Nicolas Durand de Villegaignon, navigateur français (1510 – 1571). Commanda en 1555 une expédition destinée à établir une colonie française dans la région de Rio de Janeiro. A plusieurs reprises emmena avec lui en visite en France des délégations d'indiens Tupi. Montaigne eut à deux reprises l'occasion de rencontrer, à Rouen et à Bordeaux où il les hébergea, ces indiens avec lesquelles il eut de longs et détaillés entretiens, qui donnèrent matière à ses réflexions sur la civilisation anthropophage. Essais. I. 31 : « Des cannibales ». (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(4) Hermann von Keyserling (1880-1946), philosophe aristocrate et élitaire prussien attiré par les philosophies orientales et méditatives. A écrit « Méditations sud-américaines ». Oswald de Andrade le recevra au Brésil, avec Le Corbusier et Joséphine Baker, en 1929. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p> (5) Antonio Vieira (1608-1697). Jésuite, politicien et écrivain brésilien. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(6)  William Pitt père (1708-1778) et fils (1759-1806) ; tous deux Premier ministre d'Angleterre au XVIIIe. Incarnèrent la politique de domination impériale, et de réaction aristocratique de l'Angleterre face aux effets de la Révolution démocratique française en Europe. Symboles de l'arrogance snob et aristocratique britannique.
     José de Alencar (1829-1877) ; écrivain, journaliste et politicien conservateur brésilien. Dans ses romans et opéras, il crée des figures stéréotypées d'indiens (Peri, Iracema, Ubijara...) et un style « folkloriste » de la littérature d'élite brésilienne  d'époque. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(7) « Nouvelle Lune / Ô Lune Nouvelle / Souffle sur Untel / le souvenir de moi », in « Le Sauvage » de Couto Magalhaes, autre écrivain de la veine « folkloriste » (N.d.T.).
    <o:p> </o:p>(8) C'est le vicomte de Cairu qui fit venir le duc de La Rochefoucauld au Brésil.  (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(9) Jabouti, nom de la tortue géante brésilienne, qui est aussi animal mythologique tupi. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(10) Guaraci et Jaci. Entités des cosmogonies amérindiennes. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(11) William James (1842-1910). Philosophe américain un des fondateurs du pragmatisme.
    Samuel Abrahamovitch dit Serge Voronoff (1866-1951). Chirurgien et biologiste russe. Exerce son art en France. Pionnier des greffes durant la Première Guerre mondiale, développe ensuite les xénogreffes d'organes et de glandes,  en quête du secret de la jeunesse éternelle. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(12) Autre personnage pittoresque, en pionnier-conquérant, de l'opéra d'élite brésilien à la fin du XIXe s. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(13) Pindorama, paradis terrestre indien. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(14) Dom Joao VI  roi du Portugal, se réfugie en 1807 au Brésil après la conquête napoléonienne de l'Espagne et du Portugal, et y établit le siège du royaume portugais. Il passera la couronne à son fils Pierre de Bragance qui, sous le nom de Pedro Ier déclarera l'Indépendance et  proclamera l'Empire du Brésil en 1822. Celui-ci repassa le trône à son fils Pedro II en 1831, avant de retourner au Portugal  pour y sauver la couronne...  portugaise cette fois. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(15) José  Anchieta (1534-1597). Apôtre du Brésil. Jésuite et catéchiste. Codifie les langues des indiens Tupi qu'il rencontre pour écrire un catéchisme « tupi-guarani » qui servit ensuite à faire de cette langue écrite une espèce de « langue commune » des indiens brésiliens et du bassin amazonien. Fonda le Collège Jésuite de Sao Paulo à l'emplacement de la future métropole brésilienne, et on lui attribue le rôle de fondateur de Sao Paulo. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(16) Joao Ramalho (1493 ? – 1580). Un des pionniers portugais au Brésil. Est très vite intégré par la tribu Tupi des Tibiriças ou il rencontre sa femme Potira, fille du cacique, et devient Tibiriça lui même. Il confesse à son ami le Père Manoel  de Nobrega qu'il vit nu, dans la polygamie, et mange de la chair humaine, mais il refuse l'acte de contrition. Excommunié. Ce sera lui, néanmoins, qui permettra de sauver Sao Paulo de la guerre que les indiens Tamoios se proposent d'y porter. Après l'apaisement des troubles il refuse le titre d'édile, et se retire parmi les indiens jusqu'à sa mort. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(17) Maria da Fonte, figure remarquée d'une des révolutions de palais qui déchirent le royaume portugais au milieu du XIXe s, la « Révolution de Maria da Fonte » dans le Minho en 1846. (N.d.T.)
    <o:p> </o:p>(18) Dom Pedro Fernandes Sardinha (le bien nommé) (1496-1556). Premier évêque du Brésil. En 1555 il renonce au titre et, à la suite d'un naufrage du navire qui le ramenait au Portugal, il fut capturé par les indiens Caétés qui le dévorèrent le 2 juin 1556 avec les 90 membres de l'équipage. C'est de ce festin qu'Oswald de Andrade date le début de l'histoire du Brésil. (N.d.T.)

     


    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>Le « Manifeste anthropophage », ainsi que les textes « anthropophages » complémentaires, sera publié dans cette nouvelle traduction, avec les trois grandes pièces de Oswald de Andrade,
     « Le Roi de la Chandelle », « L'Homme et le cheval », et « La Morte »
     aux éditions Le-Mort-qui-Trompe (Nancy),
     au début de l'année 2007.
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Droits réservés :
            - 2000 by Espòlio de Oswald de Andrade pour l'original- 2006 Gilles de Staal pour la traduction et les annotations
    <o:p> </o:p>

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  • 1) « La banlieue » : la terre

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>Dans toute cette crise, le monde a découvert la France par « la banlieue ». Les technocrates, administrateurs et urbanistes parlent de « périphéries urbaines », mais dans la langue ordinaire, la langue littéraire ou culturelle, on  dit la « banlieue ». Le mot « banlieue » existe depuis des siècles et signifie littéralement « distance de bannissement » : de mettre au « ban » (acte de bannir) et « lieue » (unité de distance). La banlieue était l'endroit où les bannis, par jugement ou décision administrative, pouvaient vivre à distance de la ville.
    <o:p> </o:p>La ville de Khaled Kelkal, Vénissieux, est une banlieue de Lyon, semblable à n'importe quelle autre banlieue de France. Aujourd'hui, la banlieue est l'endroit où vit près d'un bon tiers des Français et peut être la moitié de la jeunesse. Il n'y a qu'à voir : l'agglomération parisienne, comme on dit ici le Grand Sao Paulo, a plus ou moins 10,5 millions d'habitants. Mais la ville de Paris, la ville que tout le monde vient visiter, avec ses vingt arrondissements délimités en 1850 par Haussmann, le Louvre, le Châtelet, l'Opéra et la Tour Eiffel, les grands boulevards et les cinémas, ce Paris aujourd'hui en a à peine plus de 2,5 millions. En majorité des seniors aux revenus moyens et hauts, très souvent célibataires, avec chien d'appartement. Tout le reste, les 8 millions qui restent, vivent dans la banlieue. Le peuple vivant, le peuple jeune, vit dans la banlieue. Banni. Et c'est un peu la même chose dans toutes les grandes villes de France.
    <o:p> </o:p> Un univers structuré par les usines, le travail, le monde syndical et la vie culturelle de municipalités administrées par les partis de gauche, principalement le parti communiste ; vie tournée vers la valorisation du monde du travail et de l'industrie et la croyance au progrès.
    Une nébuleuse de municipalités sans la moindre discontinuité urbaine, où les « cité Youri Gagarine » alternent avec les avenues Lénine, les ensembles Pablo Neruda, les rues Salvador Allende, les places Stalingrad, les boulevards Jean Jaurès, et autres noms de la grande mythologie du mouvement ouvrier. Ainsi, en traversant une rue, vous passez d'une municipalité à l'autre sans percevoir aucune différence, puisque tout est continuum urbain ; la rue Salvador Allende où vous marchiez se transforme sans prévenir en avenue Lénine qui traverse une nouvelle rue Salvador Allende qui n'est pas la même que précédemment, puisque qu'elle fait déjà partie d'une autre ville... cela donne le tournis de s'orienter par le nom des rues. </o:p>
    <o:p>


    Pour qui n'est pas de la banlieue, la géographie de la banlieue paraît un labyrinthe de lieux indifférents aux noms toujours les mêmes dans lequel on finit par se perdre. Cette géographie avait un sens qui était le sens du travail et des grandes usines : ici c'était l'usine Babcock, là l'usine à gaz, de ce côté les ateliers Renault, ou la Rhodiacéta, et cela était beaucoup plus sûr pour se diriger que de savoir si on était dans la rue Lénine ou devant le collège Maïakovski.
    <o:p> </o:p>Au tournant des années quatre-vingt, toutes ces industries fermèrent les portes, l'une après l'autre. Les immenses bassins industriels de Paris, Lille, Dunkerque, Lyon, Clermont Ferrand, Toulouse, Marseille, Bordeaux, Rouen, devinrent des déserts industriels, ruines et hangars abandonnés. Le sens de cette géographie se perdit dans les brumes de la désindustrialisation. Une fois perdu ce sens, - la boussole du travail -, le labyrinthe s'est refermé sur ses habitants confinés dans un espace sans issue.

     


    2) « La banlieue » : l'homme


    Les industries se sont « délocalisées » sous d'autres cieux, mais les hommes restèrent, car il n'y avait pas d'autres lieux pour aller vivre. Français de vieille souche ou immigrants algériens, marocains, portugais ou espagnols... eux tous qui étaient « la classe ouvrière » de France devinrent au fil des années 80 puis 90, « l'ex-classe ouvrière ». Eux qui avaient élevé des enfants dans l'idée d'un avenir professionnel, d'une élévation sociale, virent le paysage se réduire à l'horizon de la « cité », avec des taux de chômage allant jusqu'à 40%... complètement isolés de la grande ville pourtant voisine. La banlieue devint le lieu de l'échec.


    Le temps, qui était temps de travail, temps de vie collective, temps de luttes ou de grèves, temps de culture progressiste, devint le temps de l'attente. Attente de l'âge, de l'indemnité de chômage, du minimum social... Et pour les jeunes, attente d'un emploi, généralement précaire, inutile, et qui de toutes façons ne vient jamais. Attente d'une occasion. Attente d'un amour, ou d'une passade, d'un trafic fructueux. Attente d'une issue individuelle. Attente du moment suivant, attente du temps. Le temps devint ennui, et l'esprit devint rage... Avec la charge du stigmate d'être « de la cité », de la banlieue,  par la gueule, par l'allure, la façon de parler... avec le poids de la police, toujours graveleuse (1)...


    </o:p> 


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