• "La Morte" Pièce en trois actes de Oswald de Andrade 1937 Extrait 2

    LA MORTE


    (Prologue)


     

    L'Engagement de l'Hiérophante


    Le Hiérophante[1] (surgissant à l'avant-scène*, il s'assied sur le trou du souffleur) : – Mesdames, Messieurs, je suis un morceau de personnage perdu dans le théâtre. Je suis la morale. Autrefois, la moralité apparaissait à la fin des fables. Aujourd'hui, elle a besoin de se dégager dès le début, afin que la police soit garant du spectacle. Et que s'étiole le rictus impardonnable du poulailler. Je demeurerai fidèle à mon propos jusqu'à la fin de la pièce. Et solidaire de votre compréhension de classe. Certains éléments de cette farce sont à la charge du décor dont vous faites partie. Nous sommes ici dans les ruines hétéroclites d'un monde. Les personnages ne sont pas unis quand ils sont isolés. En action, ils deviennent collectifs. Comme dans vos séismes à domicile ou dans de plus vastes pénitenciers, vous assisterez à l'individu en tranche et le verrez social ou tellurique. Votre imagination devra traverser bien des tumultes, si vous en voulez pour votre argent. Notre bande quémandeuse est affamée et humaine telle une troupe de Shakespeare. Elle a besoin de votre cour. N'abandonnez pas vos fauteuils, horrifiés par votre propre autopsie. Consolez-vous d'avoir en vous un petit poète et une grande âme ! Restez distingués et cyniques quand vous viendrez au bout de ce désagréable banquet composé de vous-même. Comme les fous, nous nous laisserons émouvoir par vos controverses. Allez, et que cela commence !


     

    (Epilogue)


    ... ...Tout flambe sous les mains héroïques du poète


    Le Hiérophante : - Respectable public ! Nous ne vous demandons pas d'applaudissements, nous demandons les pompiers ! Si vous voulez sauver vos traditions et votre morale, appelez les pompiers ou, si vous préférez, la police ! Nous sommes comme vous même, un immense cadavre gangrené ! Sauvez nos pourritures et peut-être vous sauverez vous du brasier allumé du monde !


     

    Rideau


     Revue d'Anthropophagie – An I – N°6. Octobre 1928

     

    L'homme que j'ai mangé à petites bouchées


    Il me cassait tellement les pieds que je le voyais déjà en grillade.


    Une fois, il parla de « L'Amour comme principe[2] ».


    Je trouvai qu'une citation de ce genre méritait un bon coup de dent. Et je le ferrai de la denture.


    Une autre fois, il me sort « L'ordre comme base ».


    J'étais tellement indigné que je l'ai mordu à nouveau.


    Tout à coup, alors qu'on se promenait, j'entends de sa bouche « Le progrès comme fin ».


    C'en était trop !


    J'ai déchiré la chair du « citoyen » à belles dents.


    Maintenant il se promène un peu pâle à cause de la blancheur du squelette.


    J'ai mangé toute sa viande et j'ai seulement laissé la langue rougeoyante dans l'éclat blanc du crâne.


    J'ai laissé la langue exprès.


    Je veux voir s'il a le courage de me dire « Vivre pour autrui, vivre au grand jour ».


    Si il le dit, alors il mourra comme un poisson : par la bouche.


    Le pauvre, il est positiviste, et c'est peut être pour ça que sa viande était rassie à point pour être mangée.


    Et j'ai mangé.  


    Joao do Presente

    Revue d'Anthropophagie
    Deuxième dentition – N° 1. (Diario de Sao Paulo, 17-3-1929)

     

    De l'Anthropophagie


     

    Toute législation est dangereuse.


    Par un phénomène que nous appelons « mécanisme d'introversion », l'homme est l'animal qui pluralise. Il pluralise et invente le concept. Sur le concept, il construit et légifère. Il crée le tabou.


    Quand il y a introversion, il descend au plan réel, il descend troglodyte, puisqu'il naît troglodyte. Il n'y a religion ni idéal le plus élevé qu'il ne discute à coups de bâton. Historiquement.


    Nous croirions en un progrès humain si l'enfant naissait alphabétisé. Mais quand il vient au monde, comme dans ces derniers quarante siècles de chroniques connues, il naît naturellement à l'âge de pierre.  Et il resterait ainsi primitif et niambicoara[3] si on ne le déformait immédiatement. Il n'y a aucun motif pour une nostalgie des âges lithiques. Tous les jours naissent des millions d'hommes préhistoriques.


    Tout notre jugement obéit au critère biologique. L'adjectivation anthropophagique ne fait rien de plus que développer la constatation de ce qui est favorable ou défavorable à l'homme considéré biologiquement. Ce qui est favorable, nous l'appellerons bon, juste, hygiénique, plaisant. Ce qui est défavorable, nous l'appellerons dangereux, bête, etc.


    C'est la seule introversion que nous permettons. L'indien n'avait pas le verbe être. Du coup il a échappé au danger métaphysique qui, tous les jours, fait de l'homme paléolithique un chrétien à tétine, un mahométan, un bouddhiste, bref un animal moralisé. Un petit sage criblé de maladies.


    De cette division des hypothèses humaines (philosophies, religions) en forces positives et forces négatives, se forme notre jugement éthique et esthétique.


    Non que nous ayons un système quelconque. Mais il faut bien donner une solution à tous les problèmes débattus en Occident et en Orient.


    L'Equateur, dans la descente anthropophagique que nous annonçons, utilisera aussi des mitrailleuses à haute définition.


    *****


    (...........)


    *****


    L'autorité extérieure, ou mieux, « l'interdiction  climatérique » au sens le plus large, c'est le tabou. Qu'est-ce que l'anthropophagie ? L'absorption de l'environnement. La transformation du Tabou en totem.


    *****


    (............)


    L'exogamie est l'aventure extérieure. L'homme-temps, après Einstein, est fait de moments qui sont des synthèses biologiques. Pour la formation de chacun de ces moments il risque sa peau dans une aventure exogamique. Une fois la synthèse réalisée, il l'intègre comme l'amibe intègre l'aliment et recherche une autre aventure exogamique.


    Les anthropologues n'ont rien vu d'autre dans l'exogamie qu'une loi tribale, un tabou. C'est une simple fatalité. Un fait humain.


    Ce que l'homme fait biologiquement, il le fait par cycles. Anthropophagiquement.


    Le désir d'absorber amène l'infraction du tabou.


    Psychologiquement, l'anthropophagie élucide la doctrine de La Chute et la formation de l'idée de péché. L'erreur c'est la solution contrite, transférée vers l'absorption dans la communion. L'anthropophagie ordonne le sens biologique. Absorber toujours et directement le Tabou.


    Cela éviterait le phylloxera produit par toutes les morales intérieures.


    *****


    - Et les morales extérieures ?


    - L'anthropophagie ne rechigne pas à les tenir généralement en estime favorable. C'est une question de divertissement, de jeu, de cérémonial. La bonne humeur des Chinois en atteste.


    D'ailleurs, l'homme insiste à jouer les commères, dans la vie historique. Il a besoin de se couvrir de galons et de plumes. Il n'y a pas de mal à cela, sauf quand c'est en faveur de forces négatives. L'homme a besoin de se nommer comme choses : Tu es général. Tu es député. Tu es ma commère. Et tu viens me visiter. Comme les bons enfants paléolithiques.


    *****


    (...........)


               Revue d'Anthropophagie
    Deuxième dentition – N°2 (1929)

     

    La descente anthropophagique n'est pas une révolution littéraire. Ni sociale. Ni politique. Ni religieuse. Elle est tout cela en même temps. Elle donne à l'homme le sens véritable de la vie, dont le secret réside, - ce que les savants ignorent -, dans la transformation du tabou en totem. C'est pourquoi nous conseillons : «  absorber toujours et directement le tabou ».


    *****


    (...........)


    Toutes les religions. Mais aucune église. Et surtout, beaucoup de sorcellerie.


    (...........)


    Revue d'Anthropophagie (deuxième dentition). N° 9


    (............)


           *****


    Aucune convention sociale.


         Pour Héraclite dieu était l'unité des oppositions, coincidentia oppositorum. Pour nous c'est le tabou que nous transformons en totem, protecteur de la tribu.


    (.....)


    *****


         La fausse culture, le faux art, la fausse morale, la fausse religion, tout disparaîtra mangé par nous avec la plus grande férocité.


    (..........)


    Revue d'Anthropophagie (deuxième dentition) N° 14 (1929)


    (.....)


    Par-dessus tout, nous réagissons contre la morale conventionnelle, la vieille morale qui aujourd'hui dans le monde entier, - jusque dans l'Europe romaine ou puritaine -, n'existe plus que dans l'hypocrisie trouillarde d'une demi-douzaine de pasticheurs anachroniques et sans racines dans la terre généreuse qui leur a donné abri.


    *****


    Et du coup, contre les forces de conventions, d'accommodement, d'hypocrisie, nous lançons les forces de libération, victorieuses toujours. Contre l'homme artificiel, - stupide et emmerdant -, l'homme naturel. Contre l'animal qui s'habille, l'animal qui se pare.


    *****


    Liberté de pensée.


    Liberté sexuelle.


    Le courage de mourir en appelant les calamités sur le camp ennemi.


    La justice de la massue.


    Aucun refoulement.


    Le plus fort.


    *****


    (.....)


    Nous renions avec plaisir toutes les vertus chrétiennes. Elles resteront au service des objets trouvés. Où les cons pourront aller les chercher.


    *****


    (...........)







    [1] Le Hiérophante était le prêtre qui présidait au culte de Déméter à Eleusis. (N. d. T.)
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    [2] Formule d'Auguste Comte, come les trois autres citations de ce texte. « Ordre et Progrès » est la devise nationale inscrite sur le drapeau brésilien ». (N.d.T.)


    [3]  Groupe indien du Brésil, passé dans le langage courant comme paradigme de « l'homme premier ». (N.d.T.)


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