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Par staal le 22 Octobre 2006 à 13:32
LA MORTE
(Prologue)
L'Engagement de l'Hiérophante
Le Hiérophante[1] (surgissant à l'avant-scène*, il s'assied sur le trou du souffleur) : Mesdames, Messieurs, je suis un morceau de personnage perdu dans le théâtre. Je suis la morale. Autrefois, la moralité apparaissait à la fin des fables. Aujourd'hui, elle a besoin de se dégager dès le début, afin que la police soit garant du spectacle. Et que s'étiole le rictus impardonnable du poulailler. Je demeurerai fidèle à mon propos jusqu'à la fin de la pièce. Et solidaire de votre compréhension de classe. Certains éléments de cette farce sont à la charge du décor dont vous faites partie. Nous sommes ici dans les ruines hétéroclites d'un monde. Les personnages ne sont pas unis quand ils sont isolés. En action, ils deviennent collectifs. Comme dans vos séismes à domicile ou dans de plus vastes pénitenciers, vous assisterez à l'individu en tranche et le verrez social ou tellurique. Votre imagination devra traverser bien des tumultes, si vous en voulez pour votre argent. Notre bande quémandeuse est affamée et humaine telle une troupe de Shakespeare. Elle a besoin de votre cour. N'abandonnez pas vos fauteuils, horrifiés par votre propre autopsie. Consolez-vous d'avoir en vous un petit poète et une grande âme ! Restez distingués et cyniques quand vous viendrez au bout de ce désagréable banquet composé de vous-même. Comme les fous, nous nous laisserons émouvoir par vos controverses. Allez, et que cela commence !
(Epilogue)
... ...Tout flambe sous les mains héroïques du poète
Le Hiérophante : - Respectable public ! Nous ne vous demandons pas d'applaudissements, nous demandons les pompiers ! Si vous voulez sauver vos traditions et votre morale, appelez les pompiers ou, si vous préférez, la police ! Nous sommes comme vous même, un immense cadavre gangrené ! Sauvez nos pourritures et peut-être vous sauverez vous du brasier allumé du monde !
Rideau
Revue d'Anthropophagie An I N°6. Octobre 1928
L'homme que j'ai mangé à petites bouchées
Il me cassait tellement les pieds que je le voyais déjà en grillade.
Une fois, il parla de « L'Amour comme principe[2] ».
Je trouvai qu'une citation de ce genre méritait un bon coup de dent. Et je le ferrai de la denture.
Une autre fois, il me sort « L'ordre comme base ».
J'étais tellement indigné que je l'ai mordu à nouveau.
Tout à coup, alors qu'on se promenait, j'entends de sa bouche « Le progrès comme fin ».
C'en était trop !
J'ai déchiré la chair du « citoyen » à belles dents.
Maintenant il se promène un peu pâle à cause de la blancheur du squelette.
J'ai mangé toute sa viande et j'ai seulement laissé la langue rougeoyante dans l'éclat blanc du crâne.
J'ai laissé la langue exprès.
Je veux voir s'il a le courage de me dire « Vivre pour autrui, vivre au grand jour ».
Si il le dit, alors il mourra comme un poisson : par la bouche.
Le pauvre, il est positiviste, et c'est peut être pour ça que sa viande était rassie à point pour être mangée.
Et j'ai mangé.
Joao do Presente
Revue d'Anthropophagie
Deuxième dentition N° 1. (Diario de Sao Paulo, 17-3-1929)
De l'Anthropophagie
Toute législation est dangereuse.
Par un phénomène que nous appelons « mécanisme d'introversion », l'homme est l'animal qui pluralise. Il pluralise et invente le concept. Sur le concept, il construit et légifère. Il crée le tabou.
Quand il y a introversion, il descend au plan réel, il descend troglodyte, puisqu'il naît troglodyte. Il n'y a religion ni idéal le plus élevé qu'il ne discute à coups de bâton. Historiquement.
Nous croirions en un progrès humain si l'enfant naissait alphabétisé. Mais quand il vient au monde, comme dans ces derniers quarante siècles de chroniques connues, il naît naturellement à l'âge de pierre. Et il resterait ainsi primitif et niambicoara[3] si on ne le déformait immédiatement. Il n'y a aucun motif pour une nostalgie des âges lithiques. Tous les jours naissent des millions d'hommes préhistoriques.
Tout notre jugement obéit au critère biologique. L'adjectivation anthropophagique ne fait rien de plus que développer la constatation de ce qui est favorable ou défavorable à l'homme considéré biologiquement. Ce qui est favorable, nous l'appellerons bon, juste, hygiénique, plaisant. Ce qui est défavorable, nous l'appellerons dangereux, bête, etc.
C'est la seule introversion que nous permettons. L'indien n'avait pas le verbe être. Du coup il a échappé au danger métaphysique qui, tous les jours, fait de l'homme paléolithique un chrétien à tétine, un mahométan, un bouddhiste, bref un animal moralisé. Un petit sage criblé de maladies.
De cette division des hypothèses humaines (philosophies, religions) en forces positives et forces négatives, se forme notre jugement éthique et esthétique.
Non que nous ayons un système quelconque. Mais il faut bien donner une solution à tous les problèmes débattus en Occident et en Orient.
L'Equateur, dans la descente anthropophagique que nous annonçons, utilisera aussi des mitrailleuses à haute définition.
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(...........)
*****
L'autorité extérieure, ou mieux, « l'interdiction climatérique » au sens le plus large, c'est le tabou. Qu'est-ce que l'anthropophagie ? L'absorption de l'environnement. La transformation du Tabou en totem.
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(............)
L'exogamie est l'aventure extérieure. L'homme-temps, après Einstein, est fait de moments qui sont des synthèses biologiques. Pour la formation de chacun de ces moments il risque sa peau dans une aventure exogamique. Une fois la synthèse réalisée, il l'intègre comme l'amibe intègre l'aliment et recherche une autre aventure exogamique.
Les anthropologues n'ont rien vu d'autre dans l'exogamie qu'une loi tribale, un tabou. C'est une simple fatalité. Un fait humain.
Ce que l'homme fait biologiquement, il le fait par cycles. Anthropophagiquement.
Le désir d'absorber amène l'infraction du tabou.
Psychologiquement, l'anthropophagie élucide la doctrine de La Chute et la formation de l'idée de péché. L'erreur c'est la solution contrite, transférée vers l'absorption dans la communion. L'anthropophagie ordonne le sens biologique. Absorber toujours et directement le Tabou.
Cela éviterait le phylloxera produit par toutes les morales intérieures.
*****
- Et les morales extérieures ?
- L'anthropophagie ne rechigne pas à les tenir généralement en estime favorable. C'est une question de divertissement, de jeu, de cérémonial. La bonne humeur des Chinois en atteste.
D'ailleurs, l'homme insiste à jouer les commères, dans la vie historique. Il a besoin de se couvrir de galons et de plumes. Il n'y a pas de mal à cela, sauf quand c'est en faveur de forces négatives. L'homme a besoin de se nommer comme choses : Tu es général. Tu es député. Tu es ma commère. Et tu viens me visiter. Comme les bons enfants paléolithiques.
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(...........)
Revue d'Anthropophagie
Deuxième dentition N°2 (1929)
La descente anthropophagique n'est pas une révolution littéraire. Ni sociale. Ni politique. Ni religieuse. Elle est tout cela en même temps. Elle donne à l'homme le sens véritable de la vie, dont le secret réside, - ce que les savants ignorent -, dans la transformation du tabou en totem. C'est pourquoi nous conseillons : « absorber toujours et directement le tabou ».
*****
(...........)
Toutes les religions. Mais aucune église. Et surtout, beaucoup de sorcellerie.
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Revue d'Anthropophagie (deuxième dentition). N° 9
(............)
*****
Aucune convention sociale.
Pour Héraclite dieu était l'unité des oppositions, coincidentia oppositorum. Pour nous c'est le tabou que nous transformons en totem, protecteur de la tribu.
(.....)
*****
La fausse culture, le faux art, la fausse morale, la fausse religion, tout disparaîtra mangé par nous avec la plus grande férocité.
(..........)
Revue d'Anthropophagie (deuxième dentition) N° 14 (1929)
(.....)
Par-dessus tout, nous réagissons contre la morale conventionnelle, la vieille morale qui aujourd'hui dans le monde entier, - jusque dans l'Europe romaine ou puritaine -, n'existe plus que dans l'hypocrisie trouillarde d'une demi-douzaine de pasticheurs anachroniques et sans racines dans la terre généreuse qui leur a donné abri.
*****
Et du coup, contre les forces de conventions, d'accommodement, d'hypocrisie, nous lançons les forces de libération, victorieuses toujours. Contre l'homme artificiel, - stupide et emmerdant -, l'homme naturel. Contre l'animal qui s'habille, l'animal qui se pare.
*****
Liberté de pensée.
Liberté sexuelle.
Le courage de mourir en appelant les calamités sur le camp ennemi.
La justice de la massue.
Aucun refoulement.
Le plus fort.
*****
(.....)
Nous renions avec plaisir toutes les vertus chrétiennes. Elles resteront au service des objets trouvés. Où les cons pourront aller les chercher.
*****
(...........)
[1] Le Hiérophante était le prêtre qui présidait au culte de Déméter à Eleusis. (N. d. T.)
<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>[2] Formule d'Auguste Comte, come les trois autres citations de ce texte. « Ordre et Progrès » est la devise nationale inscrite sur le drapeau brésilien ». (N.d.T.)
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Par staal le 20 Octobre 2006 à 11:53
Oswald de Andrade
La Morte
Pièce en trois actes de Oswald de Andrade 1937
(traduite du portugais Brésil par Gilles de Staal. Droits réservés : Espòlio Oswald de Andrade et Gilles de Staal pour la traduction. A paraître en 2007, en France, dans « Oswald de Andrade : Manifestes anthropophages et Théâtre, aux éditions Le-Mort-qui-trompe.)
(Extraits)
Lettre préface de l'auteur
J'accorde la plus grande importance à La Morte au sein mon œuvre littéraire. C'est le drame du poète, du coordonnateur de toute action humaine, que l'hostilité d'un siècle réactionnaire a peu à peu éloigné du langage utile et courant. Du romantisme au symbolisme, au surréalisme, la justification de la poésie s'est perdue en sons et protestations inintelligibles, pour finir dans le balbutiement et la télépathie. Bien loin des appels populaires. Maintenant, à travers l'analyse, les ensevelis reviennent à la lumière et, à travers l'action, parviennent aux barricades. Ce sont ceux qui ont le courage incendiaire de détruire cette âme égarée qui leur était née sous les ciels souterrains où ils s'étaient réfugiés. Soit les catacombes lyriques s'épuisent, soit elles débouchent dans les catacombes politiques. A toi, qui es ma compagne dans ce difficile atterrissage, je dédie La Morte.
Oswald de Andrade
São Paulo, le 25 avril 1937
[1] Julieta Barbara Guerrini, avec qui Oswald de Andrade vivra en « régime civil de séparation de biens » de décembre 1934 à 1942. Auparavant, de 1929 à 1933, il vécut avec Patricia Galvao, dite « Pagu », écrivain et agitatrice communiste recherchée par la police, de qui il eut un fils, Ruda Pronominare, en 1930. (N.d.T.)
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Par staal le 15 Octobre 2006 à 21:49
Oswald de Andrade
Le samedi 11 novembre à l'exposition-manifeste Ah !Ah !Ah !, sous la direction de Pierre-Etienne Heymann, lecture publique du « Procès (en révision) de Jésus Christ » extrait de « L'Homme et le Cheval » pièce de Oswald de Andrade.<?xml:namespace prefix = o /><o:p>
</o:p><?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>(pièce en neuf tableau de Oswald de Andrade, écrite en 1934, traduit du portugais, - Brésil -, par Gilles de Staal. Extrait.)
<o:p>
</o:p><o:p>Huitième Tableau :
<o:p> </o:p>LE TRIBUNAL(Extrait)
<o:p></o:p> <o:p> </o:p>La scène représente la salle de l'ex-prix Nobel, érigée en Tribunal Révolutionnaire. Au fond, grande porte ouvrant sur le paysage classique du Golgotha, avec deux croix seulement.
<o:p> </o:p>Scène I
<o:p> </o:p>Mme Icare, Saint Pierre, Icare, la Véronique
<o:p> </o:p><o:p> </o:p>Au fond, soldats romains, femmes, apôtres, esclaves la foule qui était dans la maison de Pilate. La Véronique fait sécher des tirages photos grands formats
<o:p> </o:p>Saint Pierre : - J'ai l'impression de vous connaître...
La Véronique : - On se connaît oui...
Saint Pierre : - Je ne me souviens pas d'où. Je perds un peu la mémoire.
La Véronique : - Moi je me souviens. C'était à ce tintouin du Calvaire il y a vingt siècles. (Elle tourne de face la photographie qu'elle a en main et sur laquelle apparaît Adolf Hitler crucifié sur une swastika) Vous étiez des nôtres...
Saint Pierre (Reconnaissant la photographie) : - Mais lui c'est Christ ! Christ roi !
La Véronique : - Parfaitement ! Le chancelier Christ, la dernière incarnation de l'antisémitisme.
<o:p></o:p> <o:p> </o:p>Scène II
<o:p> </o:p>Les mêmes, Madeleine
Madeleine : - C'est ici que va avoir lieu le jugement du fils de David !
La Véronique : - Lequel d'entre eux ?
Madeleine : - Celui qui est là, sur ce portrait.
La Véronique : - Ah ! Le dernier Dieu aryen !
Madeleine : - Je suis témoin.
Saint Pierre (Se levant) : Madeleine ! Ma fille chérie !
Madeleine : - Qui êtes-vous ?
Saint Pierre : - Je suis le vieux Pierre.
Madeleine : - Le pêcheur de Génésareth ?
La Véronique : - Nous voilà tous ensemble à nouveau. Moi, avec les photographies, toi avec les parfums...
Madeleine : - Tu continues à me faire concurrence, Véronique !
La Véronique : - Pas du tout ! Je suis ici à titre administratif. Je prépare les pièces d'identité des accusés qui doivent comparaître aujourd'hui devant le Tribunal Rouge.
Madeleine : - Tu as tué l'art en Judée.
La Véronique : - Je n'ai été que la précurseure de l'industrie du portrait.
Madeleine : - Tu continues à gâcher l'art véritable. La Renaissance elle même n'a pu te résister. Tu t'es alliée aux curés pour inonder le monde avec tes chromos de saints souffreteux !
La Véronique : - Aujourd'hui, je me dédie au cinéma...
Madeleine : - J'ai vu. Le roi des rois. Sacré navet !
La Véronique : - Erreur. Je suis au service du cinéma d'Etat. J'ai évolué. Je suis le progrès en personne.
Madeleine : - Eh bien moi, je continue d'être l'art pour l'art.
La Véronique : - Toujours modèle d'atelier* ?
Madeleine : - Comme en Judée. Si tu n'étais pas apparue, on aurait pu avoir un art sémite natif, propre à fortifier l'unité sentimentale de la Diaspora. Cela aurait peut être engendré les plus grandes conséquences politiques. Mais un peuple dispersé et sans art, voilà ce que ça donne...
Saint Pierre : - Madeleine, je ne te reconnais pas. On dirait une députée de classe !
Madeleine : - Bien sûr ! Pour vous, j'ai surgi comme une prostituée analphabète du Premier siècle. Mais tout ça c'étaient du baratin. La Passion, la Croix, la Résurrection et le reste, baratin... Nous menions la lutte tenace contre l'impérialisme Romain... La lutte idéaliste !
Saint Pierre : - Les chansonnettes sur ta rue ! Qu'est-ce qu'on aimait ça !
La Véronique : - Tu récitais une poésie futuriste que le Rabi adorait...
Saint Pierre : - Récite pour nous souvenir. Se souvenir c'est vivre !
Madeleine (Récitant) :
Ma rue
Ma rue à Magdala
Remplie de putains
Rongées d'infections
Inondées de parfum
Mortes de faim
Personne ne vit dans ma rue
Parce qu'il le veut bien
Ni moi
Ni les autres malheureuses
Les Pharisiens fréquentent
Ma rue
Etroite
Qui sent le sperme et l'encens
Les hommes de loi y passent
Ils savent que le travail honorable
Ne rapporte rien
<o:p> </o:p>La femme et la fille du pauvre
Ne gagnent que quelques sous
Dans ma rue
<o:p> </o:p>C'est pour ça que ma rue est pleine
Pour cela que je pleure la nuit
Dans ma rue
Quand je me souviens de moi.
<o:p> </o:p>Icare : - Pauvres malheureuses ! Ca fait de la peine ! On devrait règlementer cela !
La Véronique : - C'est la monogamie qui les produit. Dans l'Etat Socialiste, elles appartiennent au Musée de l'Histoire.
(..........)
La suite, le 11 novembre, à la Galerie de Nesle, à la clôture de l'exposition-manifeste
Ah !Ah ! A3 Art- Anthropophagie Aujourd'hui !</o:p>
</o:p>
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