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3) Le corps partagé
Tout ce questionnement qui traverse la société dans ses générations profonde rencontre inévitablement la crise ressentie dans les banlieues, car les deux reflètent, sur des plans différents mais complémentaires, l'histoire commune et tragiquement contradictoire des couches profondes du même peuple.
Et ce choc résonne dans la crise de représentation politique qui traverse au même moment la société, et qui s'est révélée dans la séquence des suffrages de 2002, 2004, 2005 : la société ne se reconnaît plus dans son système de représentations et d'institutions qui paraissent dès lors fonctionner comme si elles étaient hors de la réalité. Celles-ci, - représentation politique en général, médias, culture officielle, justice, enseignement... -, tentent de sauver leur légitimité en s'accrochant aux certitudes de toujours et en resserrant les boulons : discours sur « l'identité française », « les valeurs », « la laïcité française »... alors que la société n'y voit plus qu'un théâtre d'ombres et cherche à tâtons dans cette opacité les nouveaux paradigmes d'une histoire commune et d'une unité à réinventer.
Le colonialisme est une relation. Apparemment exogène, la métropole d'un côté de la mer, la colonie de l'autre côté. Une relation modifie le visage des deux. Dans l'outremer, l'Indochine, l'Algérie, les colonies se sont libérées en se servant des propres idées de la république française.
Et la France ? La colonisation a aussi changé le visage de la France. Le peuple français n'est plus ce peuple métropolitain blanc, originaire d'un terroir ancien et provincial. Ce peuple qui a peur de l'eau... et du savon ! Il est un peuple formé d'ex-colonisés, d'ex-métropolitains, des exodes aussi du siècle de guerres qu'il a produites, et surtout du mélange accéléré de tout cela. Il faut pouvoir se reconnaître dans une histoire commune, une histoire réelle, et en former les valeurs collectives. Mais tout le système de représentations, l'univers institutionnel, les mythologies nationales, les références, les images, les personnages, l'histoire enseignée et retransmise, continuent dans la même version, la version coloniale. Les colonies ont changé, la métropole a changé, mais son institution résiste et ne veut rien changer à rien.
Mais alors, de cette façon, la relation coloniale que l'institution républicaine maintien à toutes forces, d'exogène devient endogène. La colonie n'est plus outremer, mais dans la société intérieure elle-même. C'est la propre institution républicaine qui entre en crise.
Il est à ce titre tout à fait significatif de voir l'entièreté de la représentation politique et médiatique, de la droite à la gauche, s'unir au long des deux ans écoulés en défense des certitudes colonialistes et de la pérennité des valeurs qui en font l'héritage.
Quelques exemples épars :
- Début 2004, dans un élan d'esprit d'intégration (!), le gouvernement annonce le projet de création d'un grand Musée national de l'histoire de l'immigration. Et la commission de politiques et d'universitaires en charge du projet l'installent où ?... Dans l'ancien Musée des colonies et de l'Outremer !
- Fin 2004, le Parlement, au nom de la laïcité, vote une loi spéciale, excluant des écoles publiques les jeunes filles musulmanes qui usent d'un voile, même sous forme de simple foulard. Les premières exclues sont deux gamines banlieusardes d'origine juive athée, qui s'étaient converties dans la manifestation d'une sorte d'orgueil des banlieues. Dans la foulée, plusieurs centaines de jeunes filles sont retirées de l'enseignement... au nom, bien sûr du progrès de la condition féminine. Seuls les communistes et les verts votent contre la loi.
- 23 février 2005, le même parlement invente une nouvelle loi, portant « reconnaissance de la Nation pour l'œuvre coloniale et l'action des Forces armées dans les départements d'Outremer » et obligeant, dans les programmes d'enseignement à faire ressortir « le rôle positif » de la colonisation. Seuls les communistes, les verts, et de rares socialistes votent contre.
- Mars 2005, les féministes de gauche organisent à Paris une manifestation commémorative du trentième anniversaire de la loi autorisant l'avortement et la contraception gratuits ; un cortège de jeunes filles musulmanes, beaucoup portant le voile, venues des banlieues, veulent se joindre au défilé et sont expulsées par les féministes... au nom toujours du progrès de la condition féminine. Chassées, elles ne parviennent à défiler que sous la protection des anarchistes !
- Novembre 2005, la loi établissant l'état d'urgence pour réprimer la révolte des banlieues, dont l'entrée en vigueur doit être votée par le parlement, n'est autre que la loi de 1955 créée pour permettre la guerre en Algérie et jamais utilisée en métropole depuis lors. Seuls les communistes (pas tous) et les verts votent contre. Ce n'est que pour sa prolongation, en décembre, que les socialistes se décideront à voter contre.
- Décembre 2005, la loi du 23 février repasse au parlement convoqué en session solennelle, à l'issue des émeutes de novembre. Elle est massivement approuvée, longs discours colonialistes à l'appui. Seuls les communistes et les verts la rejettent en bloc. Les socialistes ne voulant en modifier que le paragraphe concernant l'obligation d'enseignement.
..... etc.
Comment les jeunes et moins jeunes des banlieues, dont les parents ou grands parents ont vécu la réalité du colonialisme, ont été « main d'œuvre indigène » importée, qui souffrirent les discrimination et l'administration coloniale de l'immigration, comment « la banlieue » de la société peut lire ces faits ? Comment un jeune Français, dont le père, alors immigré en métropole et qui aurait échappé aux massacre de 1961 organisés par le préfet Papon, doit il comprendre l'application de la loi de 1955 ? Comment les enfants d'anciens soldats qui firent la guerre contre le peuple algérien et souffrirent toute leur enfance du silence taciturne et pesant des pères, peuvent ils entendre cela ? Comment quelqu'un, dont les villages familiaux furent détruits au napalm avec leurs habitants par l'aviation française, doit il manifester sa « reconnaissance nationale » ? Comment quelqu'un qui s'identifie aux « valeurs » du « consensus républicain », peut-il en même temps « souligner le rôle positif » du travail forcé, de la discrimination et de l'arbitraire racial ? A quelle France tous ceux là doivent-ils appartenir ? Ou alors, doit on les stigmatiser comme « mauvais Français », faux Français ? Et comment quelqu'un, qui s'identifie au « consensus républicain », peut-il en même temps s'identifier à un système qui réinvente les « bons » et les « mauvais » Français, exactement comme le fit le régime de collaboration pétainiste ?
C'est tout cela qui explose dans cette « crise des banlieues », dans cet incendie qui s'est étendu au pays entier. La révolte des banlieues résonne dans la crise du corps national. Le corps de la société, le corps national, le corps culturel est partagé, déchiré, « comme un immense cadavre gangrené ». Une nouvelle identité commune se cherche... qui ne peut venir que de la dévoration de cette vieille France qui s'entête à se vivre dans la continuité de son histoire coloniale. Et cet entêtement du gouvernement et de toute la représentation institutionnelle à se maintenir dans les mêmes vieux poncifs ne fait qu'aggraver cette partition du corps de la société, ouvrant sans s'en rendre compte, vers des incendies bien plus ardents que ceux de novembre.
Le corps de la société est partagé...
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Beatriz Azevedo
Vendredi 10 novembre 2006: 18h45 lecture du Manifeste. Beatriz Azevedo, interprètera ses poèmes anthropophages, « Peripatetico » et « Idade da pedra ». Poèmes de R. San Gerotéo et de Vallejo, par Roberto San Geroteo. 20h, Manger. 20h 30, film (30mn) entretien avec Joelle Aubron (Action Directe). Débat : « Lutte anti-terroriste : état d'exception permanent », introduit par le Collectif pour la libération des détenus politiques (A. D. et Georges Abdallah). Présence M.A. Combesque, de juristes...
Age de pierre (Idade da pedra)
Age de pierre technologiqueAge de pierre cybernétique
Age de pierre
Age de pierre
Globalizé sterilizé vacciné
Tomographie ordinateurizée
Age de pierre
Massacre parricide sida suicide
Résonnance magnétique
Voyage internautique
Age de pierre
Age de pierre Carandiru
Age de pierre CandelariaAge de pierre Vigario Geral
Age de pierre Carajas (*)
Age de pierre Joyeux Noël
ClonageAge de pierre
Harcèlement assexué
Age de pierre
Fin du millénaire ère du Verseau an 2000
Age de pierre
Age de pierre électronique
Age de pierre supersonique
Age de pierre comico tragique pharaonique bionique
Age de pierre bombe atomique
Fin du mondeFin de l'utopie historique
Début de l'utopie hystérique
De l'église hystérique
Du pasteur hystérique
Du troupeau stérile
Devant le dieu de la télévision
L'oubli total
De la pierre fondamentaleDe la pierre initiatique
De la pierre mythique
De la pierre philosophale
De la vérité rythmique du rite tribal
De la pierre biblique
De la pierre de Pierre
De la pierre véridique
Chamanique
Du temps immémorial
De la pierre étoile transcendentale
Pierre qui révèle
L'oracle des dieux
Pierre sacrée
Age de pierre CarandiruAge de pierre Candélaria
Age de pierre Vigario Géral
Age de pierre Carajas
Age de pierre Joyeux Noël
Le monde est à l'age de pierre sceptiqueA l'age de pierre apathique
De la pierre pratique
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La pierre démocratique apathique ridicule
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C.p.e. Medef U.t.i. F.m.i.Dialecte yankee tupi
Réalité virtuelleAge de pierre réel
De faim réelle
Du cauchemar de l'obscurité
De la nuit réelle
Dans les rues de cette capitale
De l'age de pierre national
De l'âge de pierre du monde global
Biodégradable
Biodégradant
Age de pierre détergenteAge de pierre émergente
Age de pierre communauté solidaire
Age de pierre communauté solitaire
Age de pierre égoïste individuelle
De ma petite pierre qui n'est qu'à moi
De ma petite pierre chérie
Si cette rue était à moi
C'est bâton c'est pierre c'est le bout du chemin
CarandiruCandélaria
Vigario Géral
Carajas
Joyeux Noël
Age de pierre bruteAge de pierre stupide
La pierre bornée de la dispute
La pierre de la discorde
La pierre de l'intolérance
La pierre de la scorie
Age de pierre de l'ignorance
Age de pierre du gain
Age de pierre âge de pierre
Age de la pierre taillée
Du trafic de pierre
De la pierre chimique
De la dégradation de la pierre
De l'exploitation de la pierre
De la perte totale de la pierre
Et la pierre jolie
Et la pierre précieuse
Et la pierre et la pierre et la pierre
Et la pierre n'a rien à voir avec ça
qui veut jeter la première pierre.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Béatriz Azvedo
<o:p> </o:p><o:p> </o:p> (*) Prison de Sao Paulo, quartiers de Rio, lieu dit en Amazonie, siège de grands massacres institutionnels durant ces quinze dernières années.
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Par Gilles de Staal . Ce texte paru dans l'Humanité en 1999, fait partie du livre « Sur David Nebreda », publié en coffret avec le livre des photos, dessins et textes de David Nebreda aux éditions Leo Scheer Paris 2001.
Un livre est paru que nul ne peut, raisonnablement, ouvrir sans trembler (1). Un livre de photos. Et pourtant, dira-t-on, l'horreur photographique à prétention esthétique et visée précative, n'est pas vraiment ce qui manque, tant la photo, a force d'omettre le sujet se complait dans la débauche obscène de ses objets. Mais ce n'est pas d'un de ces livre qu'il s'agit. Le livre de David Nebreda, que publient les Editions Léo Scheer, dont on salue ici le premier titre, est un livre sur l'art, et sur la mise en danger extrême de l'artiste dans son oeuvre. C'est un livre d'autoportraits.
L'Oeuvre d'art comme un acte sacré, c'est à dire un sacrifice ou un luxe ultime, l'expérience de la perte infinie de soi aux limites de l'anéantissement, puis la reconstruction, la réincarnation du sujet, - l'artiste -, dans l'œuvre qui s'inscrit alors dans la culture humaine... proposition démente par sa démesure. Traverser le miroir de soi même pour se projeter dans oeuvre, afin d'y incarner, comme un « autre », l'universalité de la culture, il n'est pas plus grand danger. En cas d'échec, l'artiste y risque le néant, mais il n'est pas oeuvre ni d'artiste sans l'acquiescement à ce péril : la folie, le suicide, l'opprobre, l'abandon.
David Nebreda est fou, probablement. C'est ainsi que l'identifient les psychiatres : schizophrène paranoïaque. Un mot sur sa souffrance, une carte de visite, pas une issue. Pourtant il n'en est pas moins un homme, et son problème d'homme c'est précisément la perte d'identité.
David Nebreda est photographe. Pendant sept ans, il a photographié celui qui disparaît en lui, « non pour faire le récit d'une expérience pathologique, ni pour témoigner », - devant qui ?.. et pour quoi ? -, mais dans le projet, insensé, de saisir, dans la dégénérescence extrême de l'être et du corps, le point limite auquel peut se réduire son humanité... et à partir de là, la reconstruire dans « l'incarnation des figures mythiques essentielles de la culture Occidentale », c'est lui qui parle. A la folie, Nebreda acquiesce sans ciller, pour en faire le point de départ de son oeuvre C'est « ce qui est nécessaire ». Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas une oeuvre sur la folie, c'est une oeuvre sur l'identité, sur la culture, sur l'homme occidental.
Il a photographié, pendant ces sept ans, l'effroyable voyage, dans la plus absolue réclusion, qui le conduit aux limites de l'annihilation. « Il le fait, de par sa volonté, en silence », écrit il avec son sang sur les photos autour desquelles il ordonnance son long sacrifice. Série d'autoportraits qui sont comme les arrêts d'une via sacra qui le porte jusqu'en croix, vers sa résurrection :« Putain de régénération ». «Je viens de naître...! On fête ce jour de la naissance, mais dans le fond, il devait être un jour des plus terribles de l'existence... peut être même plus terrible que disparaître de ce monde » écrivait Alexis Fédorovitch, et ses mots me reviennent devant les clichés de Nebreda.
« Tout ce qui l'entoure, comme sa propre condition physique extrême, dit il, se chargent de significations qui se complexifient », à mesure des photos et de l'expérience, « autour de l'idée du nouveau but » : la résurrection dans les figures de l'art. David Nebreda est espagnol. C'est de toute cette identité, héritée des ors de la conquête et des supplices inquisitoriaux, du luxe de la renaissance baroque et de l'ascèse martyrisante de la contre réforme, que se charge dès lors son art. Comment ne pas y reconnaître la marque d'El Greco et de Francisco Pacheco, mais aussi Géricault dont « La folle » apparaît dans ses autoportraits comme la citation d'une mère, Velazquez renvoyé en miroir de « La parabole de la mère et du fils », Goya bien sûr, les cortèges de flagellants et l'effroi des saëtas de patro soto...?
Seulement, il ne s'agit plus là d'un commentaire photographique, si élaboré soit il. Comme il y a un théâtre avant et après Artaud, la photographie de Nebreda tranche dans l'histoire de la photo. C'est en s'incarnant dans son oeuvre qu'il sort du néant de la folie ; non pas en la fuyant, ou en la commentant, mais en allant au plus loin de ce qu'elle a d'humain. Le sujet a changé de place et le pathétique de l'image s'est effacé devant la tragédie de l'oeuvre, « l'expérience de la mort et de sa renaissance »
Et quand, lacéré, squelettique, mourant, exsangue et extasié, il parvient au but, il poursuit « Cette pratique d'auto-représentation, de dédoublement et de re-création qui la libère et la justifie, comme instrument amoral de connaissance de soi-même, de ce qui est le plus proche de soi-même et qui est en fin de compte le plus universel malgré tout. » Nous sommes loin de l'effet photographique, et au coeur du questionnement des constantes de notre culture.
« Je ne peux en aucun cas accepter qu'on m'accuse de provocation, comme je ne peux d'ailleurs accepter aucun autre motif que celui du questionnement d'un équilibre et d'un code moral (...). Une réflexion serait souhaitable à partir des constantes qu'on a utilisées comme étant les seule à s'avérer irréductibles et universelles. Les considérant comme irréductibles, on les reconstruit (...) maintenant à l'extérieur.
David Nebreda, pour l'heure va mieux, et il dessine dans un état psychique différent. Jamais auparavant ces photos n'avaient été montrées. Avec les dessins et ses textes, elles sont exposées jusqu'à la fin de la semaine, à la galerie Rennes, 14, rue de Verneuil à Paris.
Gilles de Staal
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II L'indigestion coloniale
Le 15 octobre, c'est-à-dire juste avant le début de cet incendie, un homme m'a rendu visite. Un homme de 73 ans. Il s'est présenté comme Marcel. Il m'avait connu quand j'étais gamin, j'avais 13 ans, et, dans notre petit village, il était alors un amoureux de ma sœur. Je n'avais à vrai dire plus entendu parler de lui depuis et j'ignorais pourquoi il m'avait retrouvé. A l'époque, il était un jeune soldat, fin de service militaire, revenant d'Algérie où il avait accompli ses trois ans, comme tous les jeunes Français à l'époque. Ce n'était pas pour me parler de ma sœur qu'il venait me voir.
Il m'annonça tout de go qu'il était alcoolique, et que quand il fréquentait ma sœur il « était un peu fou. Mais, en réalité, je suis resté fou jusqu'à maintenant.» Il avait entendu parler de moi par mes écrits, et lui-même, de formation universitaire, avait, me dit-il, commis deux ou trois romans. Mais avant de mourir d'alcool, il voulait impérativement écrire le livre qui lui importait, de ce qu'il avait vécu là bas, en Algérie, « mais je n'y arrive pas. Chaque fois que je tente de m'y mettre, je pleure, je vomis, je deviens malade avec des douleurs terribles... Je ne peux pas écrire, et pourtant je le dois. » Et la folie, qui dure depuis ce temps ? « C'est cela, bien sûr ; et l'alcool aussi, c'est cela. » - « Et tu es venu me voir pour que j'écrive ton livre pour toi, c'est ça ? » C'était ça.
1) Le plat indigesteLa France est un pays de commémorations. Il adore revisiter périodiquement son histoire. Si l'identité française n'est ni ethnique ni religieuse, alors elle doit être politique. Les commémorations servent notamment à former le consensus moral, politique, culturel de la nation, l'identité commune. Faire le bilan périodique de ce qui est assumé et de ce qui fut condamnable. Il y a des commémorations difficiles et douloureuses, car elles rappellent des déchirures anciennes où le condamnable est resté difficile à digérer.
Ces commémorations là arrivent généralement au moment où la génération des faits à commémorer parvient à l'age de mourir. Les crimes pèsent sur les consciences, il faut se soulager, confesser. Les Français qui aiment les périphrases appellent ce bilan « devoir de mémoire ».
L'avant dernier grand rituel de ce genre fut la commémoration de l'occupation nazie, de la résistance et de la collaboration. Il débuta avec le procès de Klaus Barbie, en 1984, et s'acheva à la fin des années quatre-vingt-dix avec celui de Maurice Papon, ex administrateur de Bordeaux, responsable de la déportation des Juifs du sud-ouest de la France. Durant toutes les années Mitterrand, cela servit à construire le consensus moral et politique national, souvent appelé « consensus républicain », certes par aspects bien réducteur, mais enfin... : le rejet absolu de l'antisémitisme ; l'exclusion de l'extrême droite de toute alliance politique du fait de sa compromission dans la collaboration ; la valorisation de la démocratie comme Etat de droit égalitaire et universel, et de la résistance même minoritaire à l'oppression.
Aujourd'hui arrive le temps d'une autre commémoration. Celle de Marcel. Ils ont été quatre millions de Marcel qui, durant les deux ou trois premières années de leur vie de citoyen, firent la guerre en Algérie, au nom de la république, entre 1954 et 1962 : brûlant les villages, séquestrant les familles, massacrant les hameaux, torturant des millions de personnes, méthodiquement, administrativement, déportant des millions d'autres ou les mêmes, faisant dans ce qui s'appelait alors « les départements français d'Algérie » près d'un million de morts et plus de deux millions d'estropiés ou rendus fous à vie. Quatre millions de jeunes hommes qui furent obligés à faire en Algérie exactement ce que les Allemands avaient fait, à peine dix ans auparavant, dans l'Europe occupée, sauf bien sûr l'extermination des Juifs.
Quatre millions qui ensuite devinrent des pères de familles. Tous les pères des Français qui ont entre, disons, 35 et 48 ans, ont servi en Algérie. La guerre d'Algérie est le grand silence des familles françaises. Le trauma indicible. Les Français sont un peuple dont l'histoire contemporaine est jalonnée de grandes guerres, et les souvenirs de guerre font partie des rituels familiaux des anciens. Dans les familles, à table ou le soir, l'aïeul racontait « sa » guerre de 14-18 ; le grand père racontait « sa » guerre de 39-45, pas forcément glorieuse mais enfin, racontable ; et le père ? « Papa, raconte nous comment c'était ta guerre en Algérie ?! » - Silence, pesant. Le silence des pères, l'alcoolisme dans les familles, la violence familiale névrotique ont presque toujours pour arrière fond le crime inconfessable et douloureusement refoulé de l'Algérie. Non pas que tous furent des criminels, loin de là. Mais tous ont participé au crime de masse à grande échelle, organisé par l'institution républicaine, et signé de l'uniforme que tous portaient. Et aucun ne peut s'en dégager individuellement, si ce n'est la propre nation, au nom de laquelle il fut commis et qui en était commanditaire, qui le reconnaît et le lave. Et jamais le crime ne fut reconnu, donc il n'a jamais été lavé.
La commémoration de l'occupation nazie a amené, presque naturellement, à celle de la guerre d'Algérie. Par la ressemblance des crimes, par la proximité dans le temps.
2) La nausée
Ces deux dernières années, il n'y eut presque pas de semaine sans qu'un général en retraite ne confesse des crimes qui feraient rougir des Pinochet, Videla ou Medici ; sans que d'anciens suppliciés ne viennent en France dénoncer leurs anciens tortionnaires ; sans qu'un livre, un documentaire, une émission (3) ne révèle la profondeur des tourments de cette génération de jeunes appelés obligés à faire une guerre atroce et inégale contre un peuple qui ne voulait rien d'autre que les libertés et l'indépendance dont eux, Français, jouissaient.
Le procès Papon, censé clore la commémoration de l'époque de l'occupation, fut à ce titre significatif. Il mit en évidence que le même Papon était Préfet de police de Paris durant la guerre d'Algérie et qu'il y organisa la répression d'octobre 1961 contre les manifestations pacifiques des ouvriers algériens qui fit 250 morts dans les rues de la capitale dans l'indifférence générale, et fut suivie de la déportation dans des camps au Sahara de milliers d'ouvriers algériens de Paris...
Le général Aussaresse, octogénaire, publia un livre de souvenir pour expliquer comment il fit « disparaître », après tortures, pas moins de 7000 personnes, en à peine trois mois dans la seule ville d'Alger, avec l'approbation du gouvernement de Paris. Comment il organisa administrativement à travers toute la ville les centres militaires de détention et de torture en masse ; comment il tortura puis assassina le leader algérien Larbi Ben Mehidi, tortura et fit disparaître le mathématicien Maurice Audin, tortura le journaliste Henri Alleg...
Mais ni Papon, ni Aussaresse n'eurent à répondre de ces crimes avérés. Papon fut jugé pour la déportation des Juifs sous l'autorité nazie... jamais pour les massacres de Paris. Et Aussaresse fut condamné pour apologie de crimes, mais pas pour les crimes !
Il était plus facile de commémorer les temps de l'occupation nazie. Les coupables avaient été vaincus, les crimes déjà condamnés, et le nazisme banni. Mais le fait colonial est le socle historique sur laquelle la république moderne, la fameuse France républicaine, s'est formée dès la moitié du XIXème siècle. Le colonialisme fut assumé par la république toute entière, et fait partie des fondements de l'identité de tout le spectre politique français de la droite à la gauche... républicaines. Seules quelques voix, en marge du consensus national, dénoncèrent la réalité coloniale : Octave Mirbeau, Albert Londre, André Gide, Charles André Julien... écrivains et intellectuels de mauvaise fréquentation... jusqu'aux communistes français qui ne furent pas des anticolonialistes de fer. Et cela jusqu'aux dernières heures de l'époque coloniale : le gouvernement de Paris qui donnait ses ordres à Aussaresse était un gouvernement de coalition socialiste, et celui auquel obéissait quelques années plus tard le préfet Papon était celui du Gal De Gaulle.
La plupart, pour ne pas dire toutes, les institutions de la république sont héritées et sont héritières du colonialisme : partis, administration, université, industries, armée, urbanisme, musées, institutions de recherche, monde littéraire, marques publicitaires... portent l'empreinte colonialiste au point que s'en est subliminaire. Et si les colonies furent abandonnées, de force, les institutions qui en furent les piliers n'ont jamais été questionnées... jusqu'au ministère de l'Outremer qui existe jusqu'à présent, sans budget.
Dès 1962 et l'Indépendance algérienne, le trauma de la guerre d'Algérie a été refoulé. C'était un sujet auquel on ne touchait pas. La guerre elle-même n'avait pas existé. Il fallut attendre le gouvernement Jospin pour admettre officiellement qu'il y avait eu une guerre en Algérie ! Il y avait le souci de ne pas incommoder le million d'ex-colons d'Algérie et leurs descendants, qui formaient de véritables bataillons électoraux dans le sud de la France. Mais surtout, il y avait le fait que la guerre d'Algérie révélait et condensait par sa débâcle, la véritable nature de l'ensemble du fait colonial : discrimination raciale institutionnelle, exploitation et généralisation du travail forcé, spoliation systématique des peuples originaires, truculence administrative organisée, négation et humiliation culturelle, esclavage domestique, extermination de populations entières... cette histoire coloniale qui se confond avec celle de la république moderne et qui est au cœur de ses institutions et de ses représentations. Un voile pudique fut jeté sur cette histoire refoulée.
C'est cette réalité qui remonte aujourd'hui à la surface, avec l'arrivée de la génération de la guerre d'Algérie à l'age des confessions terribles. Cela crée dans la société française un malaise profond et questionne des identifications qui jusqu'alors paraissaient inquestionnables. Et derrière ces questions, combien d'autres : le trafic d'esclaves, dont les descendants, parfaitement français, vivent aux Antilles mais aussi dans la métropole, souvent justement dans les banlieues, - ces fameux « Noirs » d'Alain Finkielkraut ? -, la repression de Madagascar de 1947, le travail forcé en Afrique noire...
Et ce retour à la surface de l'héritage colonial à travers la mémoire tourmentée de la guerre d'Algérie, oblige à revisiter le fameux « consensus républicain » formé si récemment dans le bilan de l'expérience fasciste.
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Enseigne la littérature Hispano-américaine dans la Section d'Etudes Hispaniques et Hispano-américaines de l'université di Littoral-Côte d'Opale.
Plusieurs recueils publiés, en espagnol (Serpencicleta, 1995. Esquitofrenia, 2001. Scanner, 2005) et en français (Hiéroglyphe, 1997. Semaine Sainte, 1998; Fanesca, 1999; La nature se méfie de la vitesse, 2001; Les poèmes du Colonel, 2002 [Prix Trouvères, 2002; Prix Georges Sernet, 2004]).
Durant l'exposition , retrouvez Ramiro Oviédo le samedi 04 novembre 2006
17h30 : Lecture du Manifeste Anthropophage. Puis, Flop et Tante Hortense, avec Eddy Goldeberg et Christophe Rodomisto : chansons et mise en musique des textes anthropophages.
19h00: Ramiro Oviédo, poèmes déclamés.
20h00 : manger.
21h00 : débat : « Nationalité Identité Citoyenneté : bons et mauvais Français ? » introduit par Mehdi Belhaj kacem (Une psychose française. Gallimard 2006), médiation du réseau CEDETIM/CICP (rue Voltaire).
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